Le dernier rapport de l’organisation “Global initiative contre le crime organisé “ présente un tableau macabre sur le contrôle et l’autonomie financière des gangs qui se sont renforcés et organisés en 2023.
Le contrôle social exercé par les gangs vise avant tout à maximiser l’accès aux ressources, qu’elles soient financières ou politiques, licites ou illicites. Contrairement à ce que leurs chefs peuvent dire aux médias, la plupart des gangs n’ont plus pour objectif de raviver l’espoir de vivre ensemble, mais plutôt de maximiser les opportunités offertes par leur contrôle territorial.
La première source de revenus réside dans les rackets de protection et autres formes d’extorsion.
Dans l’exemple le plus évident, les gangs imposent des taxes en échange de la protection des activités commerciales. C’est particulièrement vrai pour les groupes du G9 dit le rapport. Le contrôle qu’ils exercent sur les ports et les terminaux pétroliers de la capitale, ainsi que sur la zone de Delmas, où se trouvent les activités commerciales, les entrepôts, les marchés et les sièges sociaux des entreprises, leur a permis de soutirer des revenus considérables aux sociétés privées.
Un homme d’affaires important qui conserve des intérêts dans le port a déclaré : “Chaque conteneur, chaque débarquement est contrôlé par les gangs : “Du navire au débarquement, puis au transport, à l’entrepôt de stockage, jusqu’à la sortie, tout est entre les mains des gangs, avant de passer sous la protection de la police. Mais parfois, les gangs sont plus efficaces et moins chers que la police, car il faut bien sûr payer la police, au passage, pour obtenir un bon service.”
“Lorsque vous avez une entreprise en Haïti, vous avez l’habitude de payer pour tout, n’importe quel type de sécurité ou de protection, nous vivons depuis des décennies dans une société de points de contrôle, de privatisation de la force publique, vous payez la police pour tout et n’importe quoi, c’est comme ça que ça marche ici, et je ne suis pas sûr que la force internationale puisse faire quoi que ce soit à ce sujet.”
Selon des sources locales, ces rackets de protection sont gérés par des courtiers bien connus qui organisent les négociations et les paiements entre les gangs et le secteur privé. Dans certains cas, les entreprises paieraient entre 5 000 et 20 000 dollars par semaine pour avoir le droit d’opérer, ainsi qu’un pourcentage sur chaque conteneur débarqué des navires. Enfin, des habitants ont signalé que les gangs demandent parfois aux courtiers d’organiser des livraisons d’armes et de munitions au lieu d’effectuer des paiements en espèces.
Le commerce des points de contrôle, l’industrie de l’enlèvement
Les checkpoints représentent la deuxième voie royale pour l’extraction de la rente. Des dizaines d’entre eux sont installés dans l’ensemble de la région métropolitaine. Les postes de contrôle et les rackets qui y sont attachés sont devenus un secteur d’activité très important.
Les postes de contrôle et les rackets qui y sont liés sont devenus une activité hautement structurée et bureaucratisée. Aux plus sophistiqués d’entre eux, les transporteurs de marchandises ou de personnes qui passent quotidiennement les postes de contrôle peuvent demander une carte pour payer l’extorsion une fois par semaine, au lieu d’être retardés jour après jour.
Le chauffeur doit se présenter à un “tuteur” qui travaille dans un bureau dédié, non loin des points de contrôle. Selon les personnes interrogées, les points de contrôle les plus difficiles sont situés à l’entrée et à la sortie de Port-au-Prince (sur la route de l’Artibonite), à Canaan et à Martissant (dans la province du sud-ouest). D’après les entretiens et les rapports du BINUH, certains points de contrôle collecteraient des millions de gourdes haïtiennes par jour (entre 6 000 et 8 000 dollars US, selon la source de l’organisation Global Initiative).
Bien que la bureaucratisation offre un certain degré de certitude aux navetteurs et aux transporteurs, les trajets restent extrêmement dangereux, exposant les résidents aux menaces, à la violence physique, aux vols et aux enlèvements. Ces derniers sont devenus l’un des plus importants marchés criminels de la capitale et de ses environs. Qu’ils soient riches ou pauvres, pratiquement tous les habitants de Port-au-Prince connaissent au moins une personne qui a été kidnappée au cours des deux dernières années.
Les enlèvements sont devenus une “industrie” qui génère des millions de dollars par an.
Outre la menace permanente que les enlèvements font peser sur les habitants de Port-au-Prince, cette activité a un lien crucial avec le contrôle territorial des gangs. Non seulement les groupes les plus puissants ont besoin de maintenir des dizaines de personnes en captivité, et donc de contrôler des planques, mais ils ont également un besoin crucial d’opérateurs – internes ou externes aux gangs – pour effectuer les enlèvements et transporter les victimes jusqu’à eux.
Lorsque les enlèvements ont lieu sur le territoire des principaux gangs ou à proximité, le transport est plus facile. Toutefois, la nécessité d’obtenir des rentes plus importantes a conduit les gangs à enlever des personnes loin de leurs territoires, y compris dans des zones plus riches. Dans ce cas, le groupe responsable de l’enlèvement doit payer des sous-traitants qui contrôlent les itinéraires utilisés pour transporter la victime jusqu’à sa destination. Dans certains cas, les victimes libérées se souviennent avoir été transportées par des groupes, chacun chargé d’un rôle spécifique et d’un secteur géographique de transfert, avant que les personnes enlevées ne soient remises au gang principal. La volonté de réduire ces frais généraux alimente la concurrence entre les gangs pour obtenir un contrôle monopolistique sur les routes.
La domination des gangs sur les infrastructures critiques, telles que les terminaux portuaires commerciaux et pétroliers, les routes principales et les centres de population, a renforcé leur influence sur l’économie et le système politique d’Haïti. Les gangs ont également imposé la gouvernance dans de grandes parties de Port-au-Prince, ce qui a entraîné une augmentation de la prédation criminelle et des violations des droits de l’homme, y compris la violence sexiste.
Comme l’a souligné sans détour un rapport de l’Organisation des Nations unies (ONU), “la situation est en train de s’effondrer”.
La crise haïtienne s’est considérablement aggravée en 2023. Les rapports de l’ONU indiquent qu’en 2023, plus de 4 789 personnes ont été assassinées, 1 698 blessées et 2 490 kidnappées, avec un taux d’homicide de 40,9 pour 100 000, soit plus du double du taux de 2022.
Outre ces chiffres, la nature des acteurs criminels s’est profondément transformée, posant une série de défis à l’intervention internationale. Au cours des cinq dernières années, les gangs ont connu une évolution radicale, passant d’acteurs peu structurés dépendant des ressources fournies par le mécénat public ou privé à des entrepreneurs violents qui ont été en mesure de convertir leur pouvoir territorial en capacités de gouvernance.
Cette évolution a été alimentée par l’accès sans précédent des gangs aux armes à feu et par l’incapacité de l’État haïtien à stopper leur expansion, leur professionnalisation et leur propension à imposer leur loi sur des territoires de plus en plus vastes, ainsi que par la collusion permanente de certains éléments des élites politiques et économiques du pays.
Extrait du Rapport de Février 2024 de Global Initiative against transnational organized crime