Dans une lettre ouverte datée du 18 août 2023 adressée à tous les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant la mise en place d’une force de sécurité internationale en Haïti, Amnesty International souligne sa profonde inquiétude concernant l’annonce selon laquelle des agents kenyans pourraient diriger une ” force internationale spécialisée “, comme l’a demandé le gouvernement haïtien. Ce, pour aider temporairement la police nationale haïtienne (PNH) à lutter contre l’insécurité causée par la violence des gangs.
Amnesty International a décidé de mettre en lumière certaines questions cruciales qui doivent être prises en compte avant d’approuver le déploiement d’une telle force en Haïti.
« Il existe un passé troublant d’abus et d’impunité associés aux interventions multinationales ou étrangères passées en Haïti, y compris l’épidémie de choléra, l’exploitation et les abus sexuels sans obligation de rendre des comptes, et l’usage excessif de la force.
L’absence de responsabilité et d’accès à la justice pour les victimes de ces abus est alarmante. Tout déploiement de forces de sécurité étrangères doit inclure des paramètres clairs, obligatoires et applicables pour prévenir l’usage illégal de la force, la négligence entraînant des dommages pour les populations locales et tout autre abus commis par des individus déployés dans le cadre d’un effort multinational ;
En outre, les antécédents en matière de droits de l’homme de toute force de sécurité déployée pour contribuer à la stabilité en Haïti devraient être évalués de près.
En conséquence, nous insistons sur l’importance d’examiner le bilan des forces de sécurité kenyanes en matière de droits de l’homme avant d’approuver leur déploiement en Haïti.
Amnesty International a récemment condamné la poursuite de l’utilisation illégale de la force contre les manifestants par la police kenyane dans le pays.
Le recours excessif et inutile à la force, y compris à la force meurtrière, par les forces de sécurité kenyanes a entraîné une augmentation du nombre de morts et de blessés, adultes et enfants.
Tout récemment, depuis mars 2023, Amnesty International a recensé au moins 30 cas d’homicides de manifestants par la police, notamment lors des manifestations antigouvernementales des 20 et 27 mars (12 homicides), lors de la manifestation de Saba Saba (12 homicides) et le 19 juillet (6 homicides). Ces décès ont été attribués à l’asphyxie par les gaz lacrymogènes et à des tirs mortels.
En outre, les enquêtes préliminaires ont révélé que la police a eu recours à des passages à tabac, à des arrestations et détentions arbitraires de manifestants, et à l’utilisation aveugle et disproportionnée de gaz lacrymogènes et de canons à eau, entre autres violations graves des droits de l’homme, pour encadrer les manifestations.
Amnesty International et 14 autres organisations partenaires au Kenya, sous la bannière de Missing Voices, continuent de recueillir des informations sur les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées perpétrées par la police kenyane.
Le représentant de Amnesty International au Nations Unies, Renzo Pomi, rappelle aux membres du Conseil de Sécurité ceci :
Par exemple, en 2021 et 2022, 371 personnes au total auraient été tuées ou auraient disparu alors qu’elles étaient détenues par la police kenyane.
En outre, la crise des droits de l’homme qu’a connue Haïti a poussé des milliers d’Haïtiens à fuir le pays et à chercher refuge dans les pays des Amériques.
Cependant, au lieu de leur fournir la protection internationale à laquelle ils ont droit, les gouvernements de la région ont mis en œuvre des déportations massives et des politiques racistes.
Une réponse responsable et humaine aux Haïtiens en quête de sécurité doit être mise en place dans les Amériques parallèlement à toute discussion sur l’augmentation de la stabilité dans le pays. Aucun ressortissant haïtien ne devrait être renvoyé dans le pays ou dans un endroit où il pourrait courir un risque réel de graves violations des droits humains.
Au lieu de cela, ils doivent avoir accès à une protection sans discrimination, y compris à des évaluations équitables et individualisées du statut de réfugié, et à d’autres voies pour régulariser leur statut, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains.
Enfin, toute considération concernant le déploiement éventuel d’un soutien à la stabilisation, en plus d’établir à l’avance les garanties proposées ci-dessus, devrait également au minimum faire l’objet d’une consultation significative avec la société civile haïtienne et adopter des politiques et des pratiques qui appuient une solution dirigée par les Haïtiens pour la stabilité à long terme dans le pays.
La communauté internationale devrait appuyer les efforts déployés par Haïti pour s’attaquer aux causes profondes de la violence.
Nous vous demandons instamment de tenir compte de ces préoccupations lorsque vous envisagez d’approuver le déploiement de la force proposée. La protection des droits de l’homme devrait toujours être au premier plan de tout processus décisionnel.
La Rédaction
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