Déclaration de la représentante permanente adjointe Anna Evstigneeva lors de la réunion d’information du Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation en Haïti le 23 octobre 2023.
Monsieur le Ministre,
Nous vous souhaitons la bienvenue à cette réunion. Nous remercions le RSSG Salvador pour son exposé sur la situation en Haïti et le travail du Bureau intégré des Nations unies. Nous avons également écouté attentivement les remarques de Mmes Russel, Fathi Waly et Manigat. Nous souhaitons la bienvenue aux représentants d’Haïti et des pays de la région.
La situation en Haïti reste compliquée. Le taux de criminalité augmente de jour en jour. Depuis le début de l’année 2023, plus de 2 400 personnes ont été tuées, soit plus que pendant toute l’année précédente. Les flambées de violence qui se produisent régulièrement à Port-au-Prince touchent souvent les civils. En dehors de la capitale, le département de l’Artibonite connaît une situation alarmante, avec des bandes qui prennent le contrôle de territoires plus vastes.
Nous sommes préoccupés par les informations selon lesquelles les écoliers deviennent de plus en plus souvent les otages des affrontements entre bandes de rue. En Haïti, une école sur quatre a été fermée depuis le début de l’escalade l’année dernière. L’UNICEF estime que plus d’un million d’enfants n’ont pas accès à l’éducation. La situation est encore pire en ce qui concerne les soins médicaux et l’accès aux biens et services de base. Nous notons les efforts de la branche humanitaire des Nations Unies et d’autres organisations humanitaires pour aider les civils. Les attaques contre les convois humanitaires et le pillage des fournitures sont inacceptables.
Monsieur le Président,
La communauté internationale reste concentrée sur les problèmes d’Haïti, comme en témoignent les deux résolutions récentes du Conseil de sécurité sur l’extension du régime de sanctions et la création de la mission multinationale d’appui à la sécurité en Haïti. Nous suivons de près les progrès réalisés dans la mise en place de cette opération qui ne relève pas des Nations unies. Il est important de tenir le Conseil informé du concept détaillé de cette opération, y compris des règles d’utilisation de la force et de la stratégie de sortie. Cela étant dit, nous prenons note des voix qui s’élèvent, tant en Haïti que dans la diaspora haïtienne, contre l’intervention étrangère.
Ces voix ne doivent pas être ignorées. La mission a besoin de l’avis de la société haïtienne. Jusqu’à ce jour, l’histoire des interventions étrangères en Haïti a été essentiellement négative. De tous les pays d’Amérique latine, Haïti est celui qui a le plus souffert de l’oppression coloniale. Même après son indépendance, Haïti a dû payer la France, l’ancienne puissance coloniale, pour sa liberté acquise.
Monsieur le Président,
Nous sommes convaincus que l’ingérence étrangère est l’un des principaux facteurs d’instabilité en Haïti. Divers outils, allant des projets de technologie politique aux sanctions unilatérales, sont utilisés pour façonner l’espace politique du pays selon les désirs des différentes capitales. Entre-temps, le pays s’enfonce dans une crise d’État et de légitimité. Haïti n’a pas eu d’autorités démocratiquement élues depuis plus de six mois.
La crise multidimensionnelle actuelle en Haïti est née précisément de la pratique malveillante consistant à imposer aux Haïtiens des modèles politiques totalement détachés de la réalité locale, des intérêts nationaux et des particularités culturelles. Nous préconisons une aide internationale responsable à ce pays, axée sur un règlement politique fondé sur les demandes objectives des Haïtiens eux-mêmes et sur la recherche de solutions politiques acceptables pour les parties opposées.
L’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, il y a plus de deux ans, reste un crime non résolu. Nous ne pouvons guère nous attendre à un scénario différent, puisque l’enquête est menée par le pays même dont les citoyens sont soupçonnés d’avoir commis l’assassinat. Nous demandons une enquête transparente sur cette tragédie, qui a provoqué la déstabilisation du pays tout entier.
Monsieur le Président,
En ce qui concerne les sanctions, nous nous félicitons de l’extension de l’embargo sur les armes à tous les acteurs non étatiques en Haïti, que le Conseil de sécurité a approuvée dans une décision datée du 19 octobre.
Nous espérons que cette mesure, ainsi que les travaux du groupe d’experts du comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 2653 et de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), contribueront à faire la lumière sur les sources et les itinéraires de la contrebande, étant donné qu’aucun progrès notable n’a été réalisé dans la lutte contre l’entrée illégale d’armes légères dans le pays, y compris par les États-Unis – le plus grand fabricant de la région. Nous appelons les États membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour remédier à cette situation extrêmement malsaine.
Nous sommes prêts à examiner les propositions visant à étendre la liste des sanctions dans le cadre du Comité 2653 du Conseil de sécurité. En même temps, nous pensons qu’il est nécessaire d’adopter l’approche la plus responsable lorsqu’il s’agit d’ajouter de nouveaux noms. Ce travail devrait être effectué afin de stabiliser la situation en Haïti et non dans le but de “nettoyer” le paysage politique dans l’intérêt des dirigeants promus par l’Occident. La Russie est favorable à une utilisation réfléchie et ciblée du régime de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies à l’encontre d’Haïti. Il ne doit pas s’agir d’une copie conforme des mesures coercitives unilatérales introduites par certains pays.
Je vous remercie de votre attention.
23 octobre 2023