À chaque aube que le ciel m’accorde le privilège de contempler, je ressens au plus profond de mon âme le désir brûlant de m’échapper de cette terre tourmentée et de ne jamais y retourner, dans ce vaste champ de désolation qu’est devenue Haïti.
Les regards que je croise dans les rues putrides de Port-au-Crime, la capitale haïtienne, sont empreints d’une détresse profonde, perdus, figés, ou parfois emportés par une rage démente. Chaque visage raconte une histoire de souffrance, chaque regard reflète une peine trop lourde à porter.
La lumière naissante du jour n’apporte plus d’espoir, seulement le rappel cruel de l’agonie quotidienne. Et puis, il y a ce silence oppressant qui enveloppe tout, comme dans une scène de cauchemar, où même les cris se perdent dans l’air étouffant. C’est un silence chargé de douleur, un silence qui étouffe toute tentative de rébellion, comme si même les mots avaient perdu leur pouvoir de dénonciation.
Aujourd’hui, dans les foyers haïtiens, chez moi en particulier, les conversations se résument souvent à des récits de morts. Chaque histoire est un rappel brutal de la fragilité de la vie, chaque nom prononcé est un cri de désespoir dans l’obscurité qui engloutit notre nation.
Il est impératif de clamer haut et fort que ce qui se joue en Haïti actuellement n’est pas une simple guerre, comme on voudrait nous le faire croire dans les médias, mais un sinistre dessein d’extermination totale, dont le mot d’ordre est “jusqu’au dernier Haïtien”. C’est un génocide silencieux, orchestré dans l’ombre par ceux qui veulent effacer notre peuple de la surface de la terre. Plutôt que d’atténuer les échos du désespoir, le temps semble au contraire les amplifier.
Chaque jour qui s’écoule, on croit avoir touché le fond, pourtant les bourreaux trouvent toujours de nouvelles façons de nous surprendre avec leur barbarie. Les plaies restent béantes, les souffrances resurgissent à chaque lever du soleil. Nous sommes pris au piège d’un cauchemar sans fin, condamnés à revivre nos pires horreurs encore et encore.
Le plus triste dans cette histoire c’est que la société reste muette, refusant de se dresser contre les tempêtes, pour accomplir l’impossible et sauver cette nation meurtrie. Nous sommes seuls, abandonnés à notre sort, condamnés à l’oubli par ceux qui devraient être nos alliés.
Voir tant d’hommes et de femmes enterrer leurs morts sans fin, se tenir debout avec dignité, et nourrir encore l’espoir en un avenir meilleur malgré les larmes enfouies, m’inspire et me donne chaque jour la force nécessaire pour écrire l’histoire de ce pays, pour raconter son destin, pour célébrer la fragile beauté qui émerge des cendres.
Dans chaque geste de résilience, dans chaque étincelle de courage, je trouve la promesse d’un lendemain où la lumière triomphera sur l’obscurité, où la vie renaîtra de ses cendres, plus forte et plus belle que jamais. Car au cœur de cette tourmente, persiste un espoir indomptable, porté par ceux qui refusent de se résigner à l’oubli.
Leur foi en un avenir meilleur pour Haïti est une flamme invincible, prête à brûler avec éclat lorsque viendra enfin le jour de la renaissance. C’est cette foi qui guide nos pas dans l’obscurité, illuminant le chemin vers un avenir où la justice, la paix et la prospérité régneront enfin sur notre terre bien-aimée.
Emmanuel Jean François