La France et les États-Unis ont brisé Haïti : Ils devraient être les premiers à réparer. Texte de Ronald Sanders, Ambassadeur de Antigua et Barbuda à l’OEA.
Lorsque les ministres des affaires étrangères des nations les plus riches du monde se sont réunis au Brésil à partir du 21 février 2024, la situation désastreuse d’Haïti a bénéficié d’un bref moment d’attention – non pas dans l’ordre du jour principal, mais en marge de la réunion des ministres des affaires étrangères du G20 à Rio de Janeiro. Cette mise à l’écart est emblématique de la faible priorité accordée à Haïti par ces puissances mondiales.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a pris l’initiative d’inscrire Haïti à l’ordre du jour, soulignant les préoccupations des États-Unis concernant l’instabilité du pays et l’arrivée continue de réfugiés haïtiens sur les côtes américaines, une question controversée. Pourtant, au 23 février 2024, les principales nations du G20 n’ont pas montré une réponse enthousiaste.
Ce manque d’enthousiasme reflète la rivalité aiguë d’autres grands pays du G20, en particulier la Russie et la Chine, avec les États-Unis, car ils ont des intérêts divergents concernant Haïti. La Chine, quant à elle, a plaidé en faveur d’une approche à multiples facettes, incluant la stabilité politique et le soutien à la sécurité, afin de créer une voie durable pour Haïti. Pour sa part, la Russie a exprimé son scepticisme à l’égard des interventions militaires internationales en l’absence d’un consensus national clair et de plans opérationnels détaillés. La Russie s’est abstenue de voter sur la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui autorisait le déploiement d’une mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) en Haïti par des pays partageant les mêmes idées, sous la direction du Kenya.
Néanmoins, le secrétaire d’État Blinken a continué à encourager les pays du G20 et d’autres pays, tant développés qu’en développement, à se joindre à la mission MSS. À ce jour, les États-Unis n’ont pas réussi à obtenir l’engagement de troupes, à l’exception du Kenya et de quelques pays de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). L’absence particulièrement notable d’engagements de troupes de la part des nations européennes, notamment de la France – ancienne puissance impériale en Haïti et grand bénéficiaire des richesses produites par l’esclavage – souligne ce point.
Les États-Unis eux-mêmes n’ont pas engagé de troupes. Ils se sont plutôt efforcés d’inciter les pays d’Afrique et des Caraïbes à envoyer leur personnel militaire. La réticence de l’administration Biden à engager des troupes en Haïti peut être influencée par la position de Donald Trump, le rival présidentiel de Biden, connu pour sa réticence à déployer des troupes américaines à l’étranger. Néanmoins, certaines nations sont irritées par le fait que les États-Unis leur demandent de fournir des troupes qui seraient en danger en Haïti, alors qu’ils choisissent de garder leurs soldats chez eux.
De plus, alors que le gouvernement américain se dit prêt à verser 200 millions de dollars pour financer une intervention en Haïti, il précise que la moitié proviendra du ministère de la défense, mais que l’autre moitié devra être votée par le Congrès américain. À ce jour, le Congrès n’a pas voté l’allocation d’une quelconque somme. Par conséquent, le montant total de la promesse du gouvernement américain n’est pas disponible et il manque 100 millions de dollars pour répondre à la demande kenyane.
Jake Johnson, dans son livre perspicace intitulé “Aid State : Elite Panic, Disaster Capitalism, and the battle to control Haiti”, suggère que les perceptions occidentales d’Haïti sont entachées par une histoire de colonialisme et de racisme. Bien que je partage le point de vue de Johnson et que je salue la profondeur de son travail, je soutiens qu’il s’agit avant tout d’un racisme passif – un mépris pour Haïti qui n’existerait probablement pas si sa population était blanche.
Cette attitude raciale passive, presque irréfléchie et réflexive, est également mêlée à l’idée qu’Haïti est un pays corrompu où des milliards de dollars d’aide ont été soit mal gérés, soit volés. Ces deux éléments ont constitué un mélange toxique à avaler pour les décideurs politiques occidentaux.
Une autre considération officieuse dans l’esprit de nombreux gouvernements, et qui est chuchotée en marge des réunions internationales, est que des dizaines de milliards de dollars ont été dépensés pour les efforts de maintien de la paix en Haïti dans le passé par les Nations unies et les gouvernements participants. Pourtant, dès que les forces de maintien de la paix quittent le pays, Haïti retombe dans l’instabilité résultant des conflits entre les forces politiques rivales du pays.
Il convient de noter que si la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a généralement accepté de soutenir une intervention humanitaire en Haïti, moins de cinq de ses 15 membres ont effectivement proposé des troupes. En fait, la CARICOM n’a pas la capacité d’apporter une contribution militaire significative à une intervention en Haïti. Le groupement a agi de la sorte parce qu’Haïti est un État membre et, plus important encore, parce que les Haïtiens ont été la première nation à se soulever contre l’esclavage et à créer une nation noire indépendante en 1804.
Mais, dans toute analyse de la situation haïtienne, la France et les Etats-Unis ont une responsabilité particulière, ayant largement profité du pays et l’ayant ensuite déstabilisé. Aucun des deux pays, quels que soient les problèmes politiques internes auxquels ils sont confrontés, ne peut être exonéré de sa responsabilité dans l’appauvrissement d’Haïti. La lourde dette imposée par la France après l’indépendance d’Haïti et l’ingérence financière et politique prolongée des États-Unis ont laissé de profondes cicatrices sur la capacité d’Haïti à s’autogouverner et à prospérer.
Dans ce contexte, c’est à la France et aux États-Unis qu’il incombe au premier chef d’aider Haïti. Ils devraient être à l’avant-garde des efforts visant à rétablir l’ordre et à reconstruire la nation, en contribuant non seulement par leur présence policière actuelle, mais aussi en investissant dans les infrastructures et les systèmes sociaux d’Haïti, en rectifiant les injustices historiques qui continuent d’entraver ses progrès.
La relégation d’Haïti à l’écart du discours international est un rappel brutal de la nécessité d’un effort mondial renouvelé et engagé pour faire face à ses crises. Il est temps que les nations les plus impliquées dans son exploitation historique remplissent leurs obligations morales et éthiques envers Haïti.
Une intervention en Haïti est nécessaire pour mettre fin à l’anarchie actuelle, mais le soutien à une telle intervention devrait provenir de la plus large représentation du peuple haïtien. Elle devrait également inclure un calendrier et un plan global, avec des ressources, pour construire l’infrastructure physique, sociale, politique et de gouvernance dont Haïti a tant besoin à la fin de l’intervention.
Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons espérer voir Haïti comme une nation stable, souveraine et prospère, plutôt que perpétuellement étiquetée comme un État “en faillite” ou un État “aidant””.
Traduit de l’anglais au français https://caribbeannewsglobal.com/france-and-the-us-broke-haiti-they-should-be-the-first-to-mend-it/