Des AK-47 russes aux AR-15 fabriqués aux États-Unis en passant par les fusils d’assaut israéliens Galil, une hausse du trafic d’armes de plus en plus sophistiquées touche Haïti depuis 2021, a indiqué l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dans son dernier rapport sur le trafic illégal d’armes en Haïti en Avril 2024.
Beaucoup de ces armes illégales sont à l’origine de récentes attaques de tireurs isolés, de pillages massifs, d’enlèvements et d’attaques de prisons visant à libérer des milliers de détenus, ce qui a entraîné le déplacement de plus de 362.000 Haïtiens fuyant la violence.
Plus de puissance de feu que la police
Certains gangs utilisent le trafic d’armes pour alimenter leurs efforts visant à étendre leur envergure et revendiquent des emplacements stratégiques qui entravent les efforts visant à mettre fin à l’entrée illégale de davantage d’armes, selon l’expert indépendant et auteur de Haiti’s Criminal Markets, Robert Muggah.
« Nous vivons une situation très déconcertante et inquiétante en Haïti, probablement la pire que j’ai vue depuis plus de 20 ans de travail dans le pays », a déclaré M. Muggah.
Trafiqués principalement depuis les États-Unis, ces « arsenaux mortels » signifient que les gangs disposent d’une « puissance de feu qui dépasse celle de la Police nationale haïtienne », selon le groupe d’experts de l’ONU chargé de surveiller les sanctions imposées par le Conseil de sécurité à Haïti en 2022 dans un contexte d’aggravation de la violence des gangs armés.
Le problème est que plus les armes entrent, plus les gangs étendent leur contrôle sur des points stratégiques tels que les ports et les routes, ce qui rend encore plus difficile pour les autorités de prévenir le trafic d’armes, a souligné Mme Bertrand de l’ONUDC.
Cartographie des zones contrôlées par les gangs
On estime qu’entre 150 et 200 groupes armés opèrent désormais à travers Haïti, un pays qui partage l’île d’Hispaniola avec la République dominicaine, a précisé M. Muggah, expert indépendant en matière de sécurité et de développement.
Actuellement, environ 23 gangs opèrent dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, divisés en deux grandes coalitions : le G-Pèp, dirigé par Gabriel Jean Pierre, également appelé Ti Gabriel, et le G9 Famille et Alliés, dirigé par Jimmy Chérizier, dit Barbecue.
Ces derniers mois, les deux factions rivales ont uni leurs forces « dans des attaques coordonnées » visant l’aéroport, le Palais national, le Théâtre national, les hôpitaux, les écoles, les commissariats de police, les bureaux de douane et les ports, « imposant effectivement leur volonté et élargissant leur territoire », a expliqué M. Muggah.
« Les gangs contrôlent en effet des zones très stratégiques de la capitale et les principaux axes routiers reliant Port-au-Prince aux ports et aux frontières terrestres ainsi que les villes et zones côtières, où l’on constate une grande partie des trafic», a-t-il ajouté.
La demande : des armes de gros calibre et des « armes fantômes »
Le trafic d’armes est une activité très lucrative, même en petites quantités, car la demande d’armes augmente et les prix sont élevés, a constaté le groupe d’experts.
Par exemple, un fusil semi-automatique de 5,56 mm coûtant quelques centaines de dollars aux États-Unis est régulièrement vendu entre 5.000 et 8.000 dollars en Haïti.
Les experts ont en outre documenté la présence d’« armes fantômes », qui sont fabriquées en privé avec une relative facilité en achetant des pièces en ligne, évitant ainsi les processus de contrôle qui s’appliquent aux armes à feu fabriquées en usine. Ces armes ne sont pas sérialisées et sont donc intraçables.
L’approvisionnement : sources et routes américaines
Un petit nombre de gangs haïtiens sont hautement spécialisés dans l’acquisition, le stockage et la distribution d’armes et de munitions, selon le rapport de l’ONUDC.
La plupart des armes à feu et des munitions trafiquées vers Haïti, que ce soit directement ou via un autre pays, proviennent des États-Unis, a déclaré Mme Bertrand de l’ONUDC, ajoutant que les armes et les balles sont généralement achetées auprès de points de vente agréés, de salons d’armes ou de prêteurs sur gages, et expédiées par la mer.
Des soupçons ont également émergé concernant des opérations illégales impliquant des vols non enregistrés et de petits aéroports le long de la côte sud de la Floride, ainsi que la présence de pistes d’atterrissage clandestines en Haïti, a-t-elle ajouté.
Répression du trafic
L’ONUDC a identifié quatre routes de trafic utilisant les frontières poreuses d’Haïti, deux depuis la Floride via des navires cargos jusqu’à Port-au-Prince et vers les côtes nord et ouest via les îles Turques et Caïques et les Bahamas et d’autres via des porte-conteneurs, des bateaux de pêche, des barges ou des petits avions, qui arrivent dans la ville septentrionale de Cap-Haïtien et par des passages terrestres depuis la République Dominicaine.
La plupart des saisies effectuées par les autorités américaines ont été effectuées à Miami, et même si les agences de contrôle ont doublé le nombre de perquisitions en 2023, les autorités ne trouvent parfois pas d’armes et de munitions illicites, qui sont souvent cachées parmi des colis étroitement empilés de toutes formes et tailles, selon l’ONUDC.
Pour « réduire considérablement le flux d’armes dans le pays », l’agence des Nations Unies forme des « unités de contrôle » dans les ports et aéroports, composées de policiers, de douaniers et de garde-côtes, pour identifier et inspecter les conteneurs et marchandises à haut risque et s’efforce de faciliter leur utilisation du radar et d’autres outils essentiels, a déclaré Mme Bertrand.