Au Conseil de Sécurité, à la Réunion portant sur la Violence des gangs armés en Haiti, Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guteress, fait le rapport suivant.
En 2022, l’insécurité liée à la violence en bande organisée a atteint des niveaux record en Haïti, les bandes armées ayant cherché à étendre leur influence et leur contrôle territorial à l’intérieur et autour de la capitale, en recourant délibérément à des meurtres, à des enlèvements et à des actes de violences sexuelles pour y parvenir – une stratégie d’autant plus privilégiée par ces bandes que celles-ci avaient aisément accès à des armes et à des munitions de type militaire introduites en contrebande de l’étranger, et seraient en outre soutenues par des acteurs politiques et économiques qui les utiliseraient pour influer sur les élections et la vie politique du pays (S/2022/747).
En juillet, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2645 (2022), dans laquelle il a constaté avec préoccupation l’ampleur prise par la violence en bande organisée, notamment les violences sexuelles et fondées sur le genre, et demandé le déploiement de conseillères et conseillers pour la protection des femmes.
En octobre, il a adopté la résolution 2653 (2022), par laquelle il a créé un comité des sanctions et un Groupe d’experts sur Haïti chargés de surveiller l’application de mesures ciblées. Des sanctions ont été prononcées contre Jimmy Cherizier (alias « Barbecue »), pour son implication directe, en tant que chef de la fédération de bandes organisées connue sous le nom de « Famille G9 et alliés », dans des actes incluant notamment le viol de sept femmes lors de l’attaque lancée en novembre 2018 contre un quartier de Port-auPrince appelé La Saline.
Selon un rapport établi conjointement par plusieurs entités des Nations Unies en 2022, les bandes armées avaient délibérément recours aux violences sexuelles pour répandre la peur, soumettre la population locale et étendre leur contrôle et leur influence.
Comme l’ont raconté plusieurs personnes survivantes et témoins, la brutalité avec laquelle les membres de ces bandes avaient commis ces actes indiquait une intention claire de punir celles ou ceux qui étaient considérés comme des sympathisants de groupes rivaux.
Lors d’affrontements, des membres de bandes organisées ont violé des femmes et des filles, souvent issues de quartiers pauvres et marginalisés, ainsi que, dans une moindre mesure, des hommes, des garçons et des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers et intersexes. Dans certains cas, des femmes ont été violées devant leurs enfants après avoir été forcées d’assister à l’exécution de leurs maris.
Les bandes organisées ciblaient également les femmes et les filles qui se rendaient dans des quartiers sous contrôle de bandes rivales pour mener des activités de subsistances ou aller à l’école. De nombreuses victimes ont été forcées de sortir de leur véhicule sous la menace d’une arme, puis dépouillées avant de subir des viols collectifs, en plein jour.
Des personnes survivantes et des témoins ont raconté que les personnes enlevées étaient parfois violées à plusieurs reprises par plusieurs hommes armés dans des maisons abandonnées où ceux -ci les détenaient pendant des semaines.
En outre, il arrive que des membres de bandes organisées contraignent des jeunes femmes, des filles et parfois des hommes à devenir leurs « partenaires » sexuels en échange de nourriture, d’eau potable et de la « protection » des personnes visées et de leurs proches contre d’autres agresseurs potentiels. En novembre 2022, comme suite au rapport conjoint, le Premier Ministre de la République d’Haïti a envoyé une lettre ouverte à ma Représentante spéciale et Chef du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti, dans laquelle il s’est engagé au nom de son gouvernement à lutter contre les violences sexuelles et à proposer des mesures de réparation et des solutions.
En outre, soucieux de s’attaquer à l’un des principaux facteurs de la violence organisée, le Gouvernement a achevé en août 2022 l’élaboration d’un plan d’action national s’inscrivant dans le cadre de l’initiative « Roadmap for Implementing the Caribbean Priority Actions on the Illicit Proliferation of Firearms and Ammunition across the Caribbean in a Sustainable Manner by 2030 » (plan d’action pour l’exécution durable des mesures prioritaires contre la prolifération illicite des armes à feu et des munitions dans les Caraïbes à l’horizon 2030), l’objectif étant d’endiguer l’afflux illicite d’armes et de munitions dans le pays.
Des contraintes logistiques et financières compromettent la capacité des institutions nationales garantes de l’état de droit d’enquêter sur les violences sexuelles et de les combattre, et les membres de la police craignent souvent de faire l’objet de représailles de la part des bandes armées. Les personnes survivantes et les témoins ne bénéficient pas d’une protection suffisante, ce qui les dissuade de porter plainte.
Tout au long de 2021 et de 2022, des établissements de santé, des hôpitaux et des professionnels de la santé ont été attaqués ou contraints de suspendre leurs activités en raison de violences ou de menaces émanant de bandes organisées. Des organisations de défense des droits des femmes ont signalé que des membres de leur personnel avaient subi des viols, des agressions physiques et des menaces.
Des bandes organisées ont érigé des postes de contrôle afin de limiter les déplacements. En outre, des changements intervenus à la tête de certaines bandes et dans les alliances entre bandes ont également rendu certains quartiers plus difficiles d’accès.
Si la plupart des cliniques et hôpitaux fonctionnels de Port-au-Prince disposent de trousses de prophylaxie postexposition destinées à prévenir la transmission du VIH et distribuent des contraceptifs d’urgence, les victimes sont rarement en mesure d’accéder à ces traitements pendant la période cruciale de 72 heures suivant une agression sexuelle, en raison de l’insécurité ambiante.
Plusieurs personnes survivantes ont indiqué avoir été infectées par le VIH ou êtres tombées enceintes, ou les deux, à la suite de viols commis par des membres de bandes organisées. De nombreuses personnes survivantes sont en état de stress aigu, souffrent de dépression ou ont des pensées suicidaires, mais il y a très peu de spécialistes de la santé mentale en Haïti.
Les graves blessures physiques causées par les viols collectifs ont, dans certains cas, nécessité des interventions chirurgicales ne pouvant être pratiquées que par très peu de médecins de la capitale.
Il existe peu de refuges permettant d’offrir aux personnes survivantes un hébergement sûr et un appui en matière de réintégration.
Recommandation : J’exhorte les autorités à mener des activités de surveillance et d’enquête sur les violences sexuelles par les bandes organisées, afin d’amener les coupables à répondre de leurs actes et d’accorder des réparations. Je demande aux autorités de fournir une assistance multisectorielle à toutes les personnes ayant survécu à des violences, avec le soutien financier des partenaires internationaux.
Antonio Guteress
Rapport : S/2023/413 23-08418 35/42
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