Insertion demandée
Ce serait tout à l’honneur de la Ministre des Affaires Étrangères, Madame Dominique Dupuy, de tirer de l’oubli le paquet législatif « déposé » auprès du Premier Ministre et portant réforme du corpus légal régissant la Chancellerie.
Ces projets de décrets et d’arrêtés, une commande de son prédécesseur, étaient malheureusement tombés en déshérence dans les tiroirs de ce dernier. Mais l’appropriation indue d’un travail réalisé par l’administration précédente, qu’elle s’est acharnée à dénigrer et à accuser, est avant tout une défaillance morale et une faute politique. Pour une experte dans le domaine du patrimoine, donc en droits d’auteur, ces manquements ne font que nous renseigner sur la véritable nature de ce personnage.
Pour bien comprendre les réelles motivations de Madame Dupuy dans l’étalage médiatique orchestrée, comme à son habitude, ce lundi 5 août 2024, il y a lieu de situer ce « dépôt » dans son contexte.
En effet, la nouvelle a envahi les réseaux sociaux, elle est diffusée comme la bonne parole du salut sur tous les sites de nouvelles en service commandé. C’est que Madame la Ministre avait un urgent besoin de réagir aux critiques de la semaine précédente jetant un doute sérieux sur sa « réforme ».
Elle devrait surtout faire diversion pour effacer dans les esprits cette correspondance de l’Ambassadeur Régine Lamur (que les médias à sa solde ont accusé de corruption) démasquant la nature perverse de sa prétendue « lutte contre la corruption ». Ce qui a enflammé les réseaux sociaux. Sa capitale confiance s’est du coup effritée et elle était en train de perdre la bataille de l’opinion. Ce, d’autant plus que la manœuvre maladroite de Radio-Télé Métronome, porte-parole de la Ministre, annonçant le transfert du dossier à l’ULCC pour tenter d’éteindre le feu, n’a fait que renforcer la conviction de tout un chacun que, oui, il s’agit bien d’une machination. D’ailleurs, ce refus manifeste de la Ministre de communiquer à l’intéressée les griefs retenus contre elle (droit à la défense), pour le moins illégal, en est la preuve patente.
Laissons de côté un instant cette affaire, revenons à nos moutons !
En se précipitant pour faire le « dépôt » des instruments juridiques jugés essentiels à sa réforme, la Chancelière semble n’avoir pas bien saisi la substance des critiques formulées dès le départ contre son projet. C’est que l’élément de cadrage, le Plan de la réforme, est inexistant. Rien que des discours. Le public aimerait donc être fixé sur : les problèmes identifiés et l’orientation à donner à cette réforme, sa portée, sa pertinence, les voies et moyens pour sa réalisation, l’échéance établie ainsi que ses coûts et bénéfices tant pour la société que pour le Corps diplomatique haïtien.
Par exemple, plus d’un mois après leur rappel, les diplomates concernés n’ont pas encore reçu leur frais de rappel. Dans sa grande précipitation, lundi dernier, la Ministre a également fait l’économie de l’exposé des motifs, cet argumentaire devant accompagner tout dépôt de projet de loi. Aussi, cet exercice de communication aurait-il permis au public de connaitre les tenants et aboutissants de cette « réforme ».
Une réforme doit être pensée, planifiée, testée et exécutée. Le sentiment prédominant est l’improvisation et la recherche du sensationnel. Sincèrement, la réforme peut-elle être résumée au dépôt de quelques décrets et arrêtés. Si c’est vraiment le cas, c’est tomber dans le fétichisme de la loi. Par ailleurs, qu’en est-il des véritables acteurs de la réforme, les cadres des services interne et externe ? Quid de l’équipe chargée d’animer la réforme ? Après seulement quelques jours à la tête du Ministère, la moitié de ce temps en voyage à l’extérieur, raisonnablement la Ministre peut-elle se targuer de piloter une réforme ?
Autant de questionnements pour lesquels la Ministre n’a aucune réponse. Pourtant, à cause de ses bévues politiques et de ses actions dénuées de tout sens éthique, la population a déjà tiré ses conclusions. Du bluff, de la poudre aux yeux !
Mais, au-delà de tous ces manquements, c’est cette soudaine affection de la Ministre pour la règle de droit qui nous intrigue. C’est à se demander si notre Ministre est tout d’un coup devenue démocrate et veut participer à l’édification de cet Etat de droit que nous espérons tous. Cette question fait sourire quand on sait le dédain qu’elle a affiché pour le respect des lois, règlements et normes qu’elle prétend rénover. La culture démocratique est une construction qui s’échelonne dans le temps. On ne devient pas démocrate d’une baguette magique. D’ailleurs, la nature profonde d’un homme (ou d’une femme) ne change jamais.
Il faut bien savoir que ce n’est pas la qualité des lois qui fait tension en Haïti mais le respect de ces lois par ceux chargés de les appliquer.
Nos hommes politiques, en tout premier lieu. Notre culture politique est caractérisée par la ruse (mètdam), la méfiance et les coups bas. Une poignée de main, la parole donnée n’ont plus de valeur engageante. Voyons plutôt ce qui s’est passé récemment. Le PM Garry CONILLE a voulu faire croire qu’il n’allait pas livrer les ministères régaliens aux partis politiques, mais c’était, soit une plaisanterie de mauvais goût ou un chef-d’œuvre d’escroquerie. En nommant Madame Dupuy il a donné les clés du Ministère des Affaires Etrangères à l’équipe de Ti-Claude pour faire et défaire.
Son blanc-seing en main, la Ministre ne s’est pas privée pour :
• Placer les hommes et les femmes fidèles à ce politicien à la tête des ambassades et consulats tout en profitant pour régler ses comptes avec certains diplomates ;
• Donner des promotions aux proches et alliés de ce dirigeant politique au détriment de la préséance ;
• Contester l’autorité du Président Edgard Leblanc ;
• Sanctionner des cadres soupçonnés de ne pas partager ses conceptions politiques ;
• Avilir dans la presse des fonctionnaires placés sous son autorité ;
• Traiter avec irrespect ses subordonnés ;
• Bafouer le droit à la défense de fonctionnaires accusés de corruption ;
• Abuser de son pouvoir et de sa position dominante ;
• Instrumentaliser la justice ;
• Faire la sourde oreille aux accusations de corruption accablant son camp politique ;
• S’attribuer la maternité de travaux réalisés sous l’administration précédente.
Excusez du peu ! Tout un florilège d’actions illégales, commises en si peu de temps. Difficile, au vu de ce palmarès ignoble, d’attribuer des convictions démocratiques à la Ministre. Il y a tout lieu de croire que ces nouvelles dispositions légales seront tout aussi bien bafouées sitôt adoptées. Donc tout ce déploiement médiatique pour le « dépôt » de décrets et d’arrêtés n’est qu’une autre facette de la politique-spectacle et du penchant effréné pour la propagande auxquels elle nous a habitué.
Roland Beauvais
NB. Ce texte n’engage que son auteur. Un droit de réponse est naturellement accordé par le journal Le Quotidien 509