96. Il ressort des recherches menées par le Groupe d’experts ainsi que de ses observations sur place en Haïti que la majorité des armes à feu et des munitions en circulation dans le pays sont fabriquées ou achetées à l’origine aux États-Unis. Elles arrivent en Haïti directement depuis les États-Unis ou via la République dominicaine. On a constaté également des tendances moins courantes, comme la présence de fusils de type AK retrouvés en Haïti, détournés d’un pays d’Amérique du Sud et probablement introduits dans le pays à la faveur du trafic de drogue (voir par. 113 à 123) ou importés de la République dominicaine, où des saisies récentes ont permis de trouver des armes en provenance d’Amérique du Sud.
97. Il ressort des cas analysés par le Groupe d’experts que si les gangs peuvent acheter sur le marché illicite haïtien ou en République dominicaine des armes de poings, des fusils à pompe et des fusils semi-automatiques de 5,56 mm ainsi que les munitions correspondantes, les gangs les plus importants et les plus riches essaient de se fournir directement aux États-Unis pour certains types de matériel spécifiques, par exemple des armes de plus gros calibre, comme des fusils anti-matériel de 12,7 x 99 mm, des mitrailleuses légères et les munitions correspondantes ou d’autres calibres peu courants (voir annexe 32).
98. Le manque de ressources de l’administration douanière et les niveaux élevés de corruption dans le département sont des facteurs clés qui favorisent le trafic d’armes à destination d’Haïti (voir par. 82 à 86 et annexe 24). Au vu des saisies signalées depuis 2020, la plupart des ports d’entrée en Haïti – terrestres, maritimes ou aériens – sont exposés au trafic d’armes et de munitions (voir annexes 29, 30 et 31). Pour un aperçu des saisies effectuées au cours de la période considérée, voir l’annexe 28.
2.2.1 Trafic en provenance des États-Unis
99. Compte tenu de leur proximité relative, de la présence d’une diaspora haïtienne importante, des prix bas et des contrôles limités sur les achats, les États-Unis sont une source de matériel intéressante pour les détenteurs d’armes en Haïti (voir annexe 29).
100. Les autorités américaines ont renforcé les contrôles et saisi plusieurs armes et munitions à destination d’Haïti par voie maritime ou aérienne. Entre janvier 2020 et juillet 2023, le Bureau des douanes et de la protection des frontières des États-Unis a saisi 15 938 munitions de différents calibres ainsi que 35 carcasses et 59 armes, dont 45 armes de poing, 1 fusil de chasse, 12 fusils et 1 mitrailleuse.
101. La grande majorité des saisies faites par les autorités américaines ont eu lieu à Miami, l’un des principaux points de départ des conteneurs de marchandises vers Haïti et également le seul endroit aux États-Unis d’où partent des bateaux transportant vers Haïti des biens de seconde main en vrac. Ces bateaux, qui peuvent servir au trafic d’armes et de munitions à destination d’Haïti, partent de docks situés sur la Miami River, que le Groupe d’experts a visités (voir annexes 29 et 30).
102. Étant donné que le marché (illicite) d’armes à feu en Haïti est dépendant de celui des États-Unis, le Groupe d’experts doit absolument se tenir informé de l’évolution de la technologie, notamment de la production d’armes à feu de fabrication privée. Au cours de la période considérée, le Groupe d’experts a confirmé la présence d’armes à feu de fabrication privée, connues sous le nom d’« armes fantômes » (ghost guns), et a documenté, dans des saisies récentes, plusieurs carcasses manufacturées ou fabriquées par machine a fraiser CNC, utilisées dans l’assemblage de ce type d’armes. Préoccupante, cette tendance, relativement nouvelle, pose un grave problème au contrôle des armes aux États-Unis et dans les Caraïbes, car les armes fantômes peuvent être fabriquées de manière relativement simple en achetant des pièces auprès de fournisseurs en ligne, les soustrayant ainsi au contrôle qui s’applique aux armes à feu fabriquées de manière classique. De plus, comme elles n’ont pas de numéro de série, elles sont intraçables (voir annexe 29).
2.2.2 Trafic en provenance de la République dominicaine
103. Une grande partie du trafic passe sous le radar, toutefois, les autorités dominicaines et haïtiennes ont effectué plusieurs saisies récentes de part et d’autre de la frontière (voir annexe 31). Les affaires concernent souvent du matériel acheté à l’origine aux États-Unis et acheminé vers le marché illicite de la République dominicaine. Bien que moins lucratif que les importations directes en provenance des États-Unis, l’achat de matériel sur le marché illicite dominicain reste intéressant. Un fusil semi-automatique de 5,56 mm coûtant entre 500 et 700 dollars aux États-Unis peut se vendre environ 2 500 dollars en République dominicaine ou deux à trois fois plus en Haïti77. Dans un cas, du matériel parti des États-Unis vers la République dominicaine devait être transféré directement vers Haïti.
104. Plusieurs gangs, en particulier 400 Mawozo, dont le territoire est le plus proche de la frontière, passent par des trafiquants dominicains pour acquérir des armes à feu et des munitions. Le Groupe d’experts a enquêté sur d’autres cas montrant des réseaux passant par des responsables corrompus, notamment des policiers, des fonctionnaires et des proches des autorités locales, qui facilitent le passage de matériel illicite. Dans la plupart des cas examinés par le Groupe d’experts, le trafic passe par le poste- frontière de Belladere, par lequel la plupart des marchandises officielles en provenance de la République dominicaine entrent en Haïti.
2.2.3 Trafic en provenance d’Haïti
105. La présence d’armes à feu en Haïti déstabilise encore davantage la région, compte tenu du trafic d’armes à feu vers la Jamaïque. Le trafic historique de marijuana de la Jamaïque vers Haïti par la voie maritime s’est transformé, au fil du temps, en un échange d’armes contre de la drogue (ganja) (voir par. 113 à 123). Selon des sources de sécurité régionales enquêtant sur la question, une arme de poing peut s’échanger contre 18 kg de marijuana (environ 2 000 dollars), ce type d’armes à feu étant particulièrement demandé en Jamaïque.