Monseigneur Pierre André Dumas, actuellement Evêque à Anse à Veau, Miragoâne lance un appel pour le réveil citoyen et la Prise en main de notre destin de peuple.
Le peuple Haïtien interpelle aujourd’hui de façon dramatique ses leaders. L’Eglise tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère…écrit-il dans la correspondance du 30 octobre. Nous publions ici un extrait.
De juillet 2018 à nos jours, entre mouvements de rue engendrant le « peyi lòk » et l’emprise des gangs sur le tissu social, nous avons assisté à une désarticulation inquiétante de la société. On est passé sans faire gaffe et dans l’ordre, du rejet obstiné du « système », de la lutte contre la corruption (« Kot kòb Petwo Karibe a ? »), de l’opposition au Président d’alors dont on réclamait le départ, à l’occupation d’une bonne partie du territoire par les gangs.
Où sont les dirigeants?
Nous ne connaissons pas une simple crise conjoncturelle. Nous pouvons et devons constater l’absence de ce que certains ont appelé les grandes orientations culturelles qui alimentent et structurent l’agir des sociétés. L’effondrement est si profond qu’un appel solennel doit être lancé à ceux et celles qui sont en mesure de contribuer à la définition et au respect des grands repères susceptibles d’orienter le devenir de la nation.
Les forces morales.
On a envie d’en revenir à la fonction de socialisation qu’exercent traditionnellement certaines grandes agences : la famille, le religieux et l’école. La crise affectant la famille et l’école se trouvant trop souvent dans l’incapacité de socialiser les enfants et les jeunes, le religieux, en dépit de sa porosité à certains effets de la débâcle ambiante, est encore en mesure de contribuer à la réaffirmation des grandes valeurs qui organisent le socle de la vie en société. Ces valeurs qui sont, par exemple, le respect de la vie humaine, le souci du bien commun, l’égalité d’accès aux services publics.
Les élites intellectuelles.
Il est urgent que ce qui reste du social haïtien puisse parvenir à une intelligence de ce moment présent. Dans l’actuelle situation, les intellectuels de ce pays ne peuvent continuer à raser les murs. Les élites intellectuelles doivent aider à comprendre la gravité de l’heure, dégager un modèle explicatif de ce cheminement dramatique et, sur la base des opportunités repérées, signaler des pistes de reconstruction. Élites intellectuelles de ce pays, engagez- vous! Nous avons tous besoin de votre expertise et de votre capacité à nommer ce qui n’a pas encore de nom.
Les élites économiques
Notre pays ne pourra entreprendre aucun travail digne de ce nom sur lui-même, si des dirigeants économiques, à distance du statu quo de la rente, du monopole et de la corruption de l’appareil étatique, ne formulent un véritable projet de production nationale de richesses qui prenne en compte les besoins et potentialités des différentes composantes de la nation. C’est dans ce cadre que la problématique de la formation et de la mise au travail des jeunes peut être formulée à nouveaux frais. Apparemment tout un potentiel de mobilisation existe et ne demande qu’à être activé. Mais la désarticulation des sociétés est en partie imputable à l’absence de vision et l’individualisme de leurs élites économiques. On ne saurait minimiser l’importance transversale des élites économiques.
Les élites politiques
L’action politique a perdu des plumes dans sa représentation sociale; elle a été tellement desservie par des élus, des fonctionnaires et des organisations politiques! Mais on s’entend bien, on a beau avoir un ensemble de valeurs, une vision éclairée de la situation et un effort valable de planification de l’avenir de ce pays, sans la reconstitution d’un organe de gestion de ce social
Comme l’a déclaré le Pape François: « Nous sommes tous liés et interconnectés par des racines communes, des idéaux communs et une commune destinée. » Dans la situation qui est la nôtre, personne ne peut se sauver tout seul. Personne ne peut sauver la nation sans les autres. Nous ne pouvons pas aller de l’avant dans le chacun pour soi sans les autres mais nous pouvons le faire tous ensemble par amour pour notre pays.
Il est donc impératif, de nous rallier, forces morales, élites intellectuelles, élites économiques, élites politiques, en dépit de nos divergences actuelles, pour prendre en main notre destin de peuple libre et indépendant et ainsi, conjuguer nos efforts pour le grand sauvetage national.
Nous le devons à notre chère Haïti
Monseigneur Pierre André Dumas.