La tenue d’élections générales en Haïti avant la fin de l’année 2025 est jugée « irrealiste » par l’International Crisis Group (ICG). Dans un rapport publié récemment, l’organisation souligne l’emprise des gangs armés sur le pays, compromettant tout processus électoral libre et sécurisé, malgré la présence d’une mission internationale de soutien à la police haïtienne.
Un climat d’insécurité paralysant
L’analyste Diego Da Rin de l’ICG met en garde contre la domination des gangs qui étendent leur influence sur des territoires stratégiques, imposant leur contrôle sur la population locale. Dans ces zones, les groupes criminels peuvent restreindre la participation électorale, manipuler le scrutin et miner la crédibilité des institutions politiques. Cette réalité pose un véritable dilemme : organiser des élections dans ces conditions risque d’aggraver la crise en renforçant l’instabilité plutôt que d’y remédier.
Cartographie des gangs et contrôle électoral
L’influence des gangs est fortement corrélée à la cartographie électorale en Haïti. Plusieurs groupes armés exercent un contrôle territorial qui affecte directement les processus démocratiques :
- G9 an Fanmi e Alye : Présent dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince, notamment Cité Soleil, Delmas, Martissant, Fontamara….
- 400 Mawozo : Actif dans la Plaine du Cul-de-Sac.
- Kraze Baryè : Contrôlant des zones de Pernier, Tabarre, Pétion-ville, Fort Jacques, Thomassin,..
- Baz Pilate : Influent dans certaines parties du nord de Port-au-Prince.
- Gran Grif : Présent dans le département de l’Artibonite.
Sans compter les gangs qui sont aussi à la commune de Carrefour, Gressier, Léogane, aujourd’hui presque abandonnée par les autorités. Les ramifications de G9 et Famille et Alliés et Viv ansanm contrôlent au moins 85% de Port-au-Prince.
Des forces internationales insuffisantes
En 2024, le Kenya a pris la tête d’une mission multinationale en déployant environ 600 policiers en Haïti. Toutefois, selon l’ICG, ce contingent demeure très loin du seuil nécessaire pour stabiliser le pays. Il était question d’environ 2 500 policiers pour garantir une présence dissuasive et accompagner efficacement les forces de sécurité locales. Face à ces limites, les Nations Unies envisagent de transformer cette mission en une opération de paix formelle, impliquant des actions « offensives » contre les groupes armés. Une telle décision pourrait cependant exacerber les tensions et conduire à une escalade de la violence, selon le rapport.
Un processus politique déjà fragilisé
Les tensions politiques internes rendent la situation encore plus complexe. Le Conseil présidentiel de transition, dirigé par Leslie Voltaire, avait initialement prévu un référendum constitutionnel en mai et des élections en novembre 2025. L’instabilité au sein du CPT et les conflits internes affaiblissent la capacité des autorités à mener à bien une transition politique crédible et transparente.
L’ICG prône la priorité à la sécurité
Pour l’ICG, toute tentative de maintenir un calendrier électoral rigide dans ce contexte serait vouée à l’échec. L’organisation recommande plutôt de se concentrer sur des objectifs concrets en matière de sécurité avant d’envisager un scrutin. Selon Diego Da Rin, un rétablissement minimal de l’ordre public est nécessaire pour assurer des élections légitimes et inclusives.
Vers un report inévitable des élections ?
Dans ce climat explosif, un report des élections semble de plus en plus probable. Cependant, une prolongation de la transition sans feuille de route claire risque d’accroître la méfiance de la population et de renforcer l’ancrage des groupes criminels.
Le pays se trouve à un tournant critique : retarder les élections pour restaurer la sécurité ou prendre le risque d’un scrutin faussé par la violence et l’ingérence des gangs. La décision des autorités haïtiennes et de leurs partenaires internationaux déterminera l’avenir de la gouvernance d’Haïti pour les années à venir.