INSERTION DEMANDEE
Les dirigeants de la transition doivent éviter l’erreur fatale d’agir en vase clos
Prise de position publique autour du programme de
Conférence nationale – « avant la lettre »
Préambule/ Rappel
Le décret du 17 juillet 2024, intitulé « Décret portant création, organisation et fonctionnement de la Conférence nationale », a été émis par les autorités de fait qui ont pris les rênes de la nation après le départ rocambolesque du gouvernement dirigé par le Dr Ariel Henry. Ce décret est censé marquer un tournant dans notre processus démocratique. Cependant, il est frappant de constater qu’il n’a suscité aucun intérêt notable de la part des juristes, des partis politiques non impliqués dans l’administration actuelle, ni des organisations de la société civile haïtienne. Pire encore, la presse, généralement en première ligne pour commenter les développements politiques majeurs, semble indifférente ou préoccupée par d’autres sujets, laissant ce décret sans l’attention et l’analyse critique qu’il mérite.
Cette indifférence souligne une grave lacune dans l’engagement des différents acteurs essentiels à la vie démocratique. Pour que la Conférence nationale puisse prétendre à une légitimité véritable et apporter des changements substantiels, il est impératif que ce décret reçoive une attention sérieuse et une évaluation rigoureuse. Sans cette reconnaissance et cette implication des parties prenantes clés, le risque est grand que cette initiative se limite à une formalité sans impact réel, compromettant ainsi la possibilité d’une véritable avancée pour notre nation.
Pour poser les bases d’une véritable conférence nationale, un retour sur notre histoire peut offrir des enseignements précieux. En mars 1790, l’assemblée de Saint-Marc cherchait à se libérer de la tutelle métropolitaine tout en préservant l’esclavage, une démarche qui a provoqué une réaction décisive. En août 1791, le Congrès de Bois Caïman a lancé la révolte des esclaves, déclenchant un mouvement qui a conduit à l’abolition de l’esclavage en 1793, motivé et promu le Congrès de l’Arcahaie de 1803 moment charnière qui débouchera sur l’Indépendance d’Haiti en janvier 1804. Tout cela contribuera fortement à consolider les fondations de la Nation haïtienne.
Cette conférence nationale, pionnière dans notre quête d’indépendance, se distinguait par son caractère de Conférence Nationale Souveraine. En s’inspirant de ces expériences historiques, nous pouvons tracer des voies et moyens pour concevoir une conférence nationale véritablement représentative et efficace aujourd’hui.
Les discussions autour d’une Conférence nationale, des États généraux, de Pacte de Gouvernabilité et de réformes majeures devraient être au cœur du débat.
Ce souci de renouvellement, devrait mobiliser une grande partie de la classe politique haïtienne, ainsi que les élites économiques et intellectuelles, sans oublier les citoyens ordinaires. Ce signe manifestement patriotique aura la vertu d’encourager la vitalité démocratique de notre nation.
En tant que signataires de cette réflexion, nous ne pouvons rester indifférents à l’initiative prise par le pouvoir exécutif de fait. Les premières étapes de cette démarche sont représentées par le décret du vendredi 17 juillet et l’arrêté du jeudi 25 juillet de cette année.
Préoccupations/ recommandations
- Dans un contexte de dilemme politique, les dirigeants de la transition doivent éviter l’erreur fatale d’agir en vase clos, sans consulter les avant-gardistes, les autres responsables politiques, et les organisations socioprofessionnelles. Pour qu’une démocratie soit véritablement stable et fonctionnelle, il est crucial que ses dirigeants allient non seulement des compétences accrues, mais aussi une vision claire, une intégrité sans faille et un engagement profond envers le bien commun. Les responsables politiques doivent être capables de naviguer avec agilité à travers les défis changeants tout en demeurant fermement attachés à l’intérêt général.
Pour influencer positivement les décisions politiques et incarner un modèle de leadership efficace, il est essentiel de viser une meilleure gouvernance pour le pays. La compétence requise dépasse le simple savoir-faire technique : elle englobe également une dimension morale et stratégique. Cette approche permet de garantir que les actions entreprises sont en parfaite harmonie avec les principes démocratiques et les aspirations légitimes du peuple.
- La création du comité de pilotage proposé par le CPT et le gouvernement risque de mettre la charrue avant les bœufs, en raison des chantiers techniques, politiques et sociaux qui engageront la nation pour les cinquante prochaines années. Si cette initiative est mal préparée ou précipitée, Haïti pourrait une nouvelle fois manquer une opportunité cruciale, comme ce fut le cas entre 1986 et 1990 avec le train politique et entre 2008 et 2011 avec le train économique.
Les gouvernements de transition en Haïti bénéficient d’une grande liberté d’actions, mais cette liberté peut également les conduire à orienter l’avenir politique du pays vers des lendemains incertains. Souvent, les hauts dignitaires de l’État peinent à collaborer avec les forces politiques et les organisations de la société civile en vue de soutenir les idées novatrices et les actions nécessaires. Cette absence de collaboration freine l’accélération des réformes positives et complique la lutte contre les intérêts économiques nuisibles, qui continuent d’appauvrir la société et de compromettre sa survie. Nous pensons qu’il est impératif d’améliorer cette synergie pour garantir un avenir plus prometteur et durable pour Haïti.
Pour garantir la réussite de la Conférence Nationale et résoudre les différends, il est essentiel que le décret soit précédé d’un accord politique réunissant tous les acteurs et opérateurs politiques, sans aucune exclusive.
Sous l’autorité du Comité de pilotage instauré par le décret, il est improbable que nous obtenions une Conférence Nationale véritablement souveraine compte tenu que l’initiative de cette conférence émane du pouvoir en place, qui a été façonné par la Caricom dans un contexte de discrimination où certaines forces politiques ont été exclues.
Bien que l’idée d’une Conférence Nationale soit louable, celle proposée par le décret est de nature exclusiviste et compromet déjà son succès. Cette démarche sous-entend une volonté de révision constitutionnelle, ce qui nécessite un consensus étendu et la mise en veilleuse temporaire de la constitution en vigueur. Sans cela, il y aura un conflit majeur entre le nouveau texte proposé et la constitution actuelle, qui interdit le référendum.
D’un point de vue juridique, la question ne devrait même pas se poser ici. En effet, la décision concernant cette conférence nationale, ainsi que les projets de révision constitutionnelle qu’elle implique, est fondamentalement politique. Elle s’écarte des principes constitutionnels et des considérations juridiques habituelles.
Pour que la Conférence Nationale, telle que définie par le décret du 17 juillet 2024, puisse aboutir, il est impératif de débuter par un dialogue national ouvert, honnête et inclusif. Ce dialogue doit aboutir à la résolution d’organiser une Conférence Nationale souveraine et à une réévaluation de la feuille de route actuelle de la gouvernance, qui semble plutôt s’orienter vers du dilatoire préjudiciable à la nécessité de réaliser dans le délai les élections générales.
En fin de compte, dans tout système démocratique, l’organisation d’une conférence nationale, particulièrement pour un projet d’une telle envergure, nécessite impérativement l’adhésion et l’engagement des principaux acteurs de la société, y compris les partis politiques et les groupes de la société civile. Cette implication est cruciale pour garantir la légitimité du processus, renforcer la représentativité et intégrer une diversité de perspectives, essentielle pour parvenir à un consensus national.
En l’absence de cet aval, le manque de confiance qui en résulterait compromettrait gravement la crédibilité des décisions prises, risquant ainsi de marginaliser des groupes clés et d’affaiblir la mise en œuvre des conclusions de la conférence.
Assurer une large adhésion dès le départ est donc non seulement une condition sine qua non pour le succès du projet, mais aussi un gage de stabilité et d’efficacité pour l’avenir de notre démocratie.
Le vendredi 13 Septembre 2024
- Me Camille Leblanc, Avocat, Ancien ministre de la justice et de la sécurité publique;
- Me Joseph Manès Louis, avocat, ancien Commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince ;
- Sénateur Rony Mondestin, Membre de la Coordination de la Convention Souveraine 2054;
- Ing Michel Junior Plancher, représentant de RENMEN AYITI ;
- Jean Marie Plantin, responsable PRANSOUF HAÏTI ;
- Mme Sanick Jean Baptiste, représentante d’ Advocates international/Haïti, organisation des avocats et juristes chrétiens haïtiens ;
- Walsonn Sanon, Entrepreneur ;
Pour authentification:
Camille Leblanc, Avocat
Ancien Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique d’Haïti
Regroupement de Citoyens Engagés