Session extraordinaire du Conseil permanent
Situation des migrants haïtiens en République dominicaine
9 octobre 2024
Intervention de l’Ambassadeur Gandy Thomas
Excellence, Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Secrétaire général Adjoint,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs, représentants permanents,
Distingués délégués et invités ;
Mesdames, messieurs ;
La défense et le respect des droits humains doivent être universels et transcender les frontières. Malheureusement, la déportation forcée et en masse de nos compatriotes haïtiens en République dominicaine est une violation des principes fondamentaux de la dignité humaine.
Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir convoqué cette session à la demande de la délégation haïtienne. Je suis conscient de l’agenda chargé du Conseil permanent, mais j’apprécie profondément la compréhension de l’urgence que représente la situation de mes compatriotes en République dominicaine.
Ma délégation félicite les États membres de cette organisation qui souscrivent à cette démarche non seulement en parole mais aussi en actes. Le traitement accordé aux couches vulnérables dont les étrangers et les migrants est un indicateur fiable de l’importance accordé par un État à la protection et à la défense des droits humains.
Mes remerciements s’adressent également aux organisations de la société civile et à tous les intervenants présents aujourd’hui.
Monsieur le Président,
Permettez-moi de rappeler qu’Haïti, en dépit des crises répétées auxquelles elle est confrontée, demeure attachée aux principes de démocratie et de dialogue. Nos gouvernements successifs n’ont cessé de réaffirmer leur volonté de dialoguer avec la République dominicaine sur les nombreux sujets qui nous concernent mutuellement, tels que le commerce, le transport transfrontalier, la sécurité, et bien entendu, la migration. D’ailleurs, les deux pays se sont mis d’accord pour établir un cadre de dialogue à travers la Commission mixte haitiano-dominicaine, créée en 1979 et réactivée en 1996, qui continue aujourd’hui de traiter des thématiques d’intérêt commun.
Haïti est un pays pacifique qui ne cherche querelle à aucun État, encore moins à la République dominicaine. Cette intervention, loin de viser à mettre la République dominicaine sur la sellette, s’inscrit dans une démarche profondément ancrée dans les valeurs démocratiques de dialogue et de respect mutuel entre États voisins, tous deux engagés envers le système interaméricain et ses instruments, notamment la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
L’OEA a souvent été un espace de dialogue et de négociation entre Haïti et la République dominicaine, et c’est dans cet esprit que nous nous engageons aujourd’hui, dans l’espoir de trouver une solution respectueuse des droits fondamentaux de tous les individus concernés.
Monsieur le Président,
Malgré les avancées en matière de droits humains dans notre région, nous assistons malheureusement à de graves violations des droits des citoyens haïtiens en République dominicaine, souvent en quête de sécurité ou de meilleures opportunités.
La communauté internationale, y compris l’OEA, doit reconnaître cette politique de déportation pour ce qu’elle est : une campagne discriminatoire ciblant les Haïtiens en raison de leur nationalité et de leur couleur de peau. De telles actions ne sont pas seulement moralement répréhensibles, mais elles violent également des principes fondamentaux du droit international, y compris la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que la Convention américaine relative aux droits de l’homme, dont la République dominicaine est signataire.
Je souhaite rappeler à cette assemblée les terribles événements d’octobre 1937, où près de 37 000 citoyens haïtiens furent massacrés dans les zones frontalières par l’armée dominicaine sous les ordres de Rafael Leonidas Trujillo. Ces événements tragiques font partie d’un passé douloureux que personne ne souhaite raviver. Or, en ce mois d’octobre 2024, nous constatons avec désolation que les droits fondamentaux des migrants haïtiens continuent d’être violés.
Cette politique discriminatoire exerce une pression immense sur Haïti, à un moment où le pays fait déjà face à une instabilité économique, des défis politiques et une insécurité généralisée. Les déportations massives accentuent davantage la fragilité de nos infrastructures, alors que les déportés arrivent sans aucun soutien ni ressources pour se réintégrer dans leurs communautés. Cet afflux risque d’aggraver encore la situation humanitaire en Haïti, alimentant ainsi l’instabilité dans la région.
Monsieur le Président, ce qui se passe actuellement en République dominicaine est alarmant pour toute la région. Le 2 octobre dernier, contre toute attente, les autorités dominicaines ont annoncé un plan d’expulsions massives de migrants haïtiens, avec l’objectif déclaré d’expulser 10 000 personnes par semaine. Ce chiffre est troublant, et il est triste de constater que ce plan est déjà en cours d’exécution.
Il est crucial de reconnaître que ces déportations sont menées de manière intrinsèquement discriminatoire, visant à marginaliser un groupe spécifique sur la base de son appartenance ethnique. Le fait de cibler des individus uniquement en raison de leur héritage haïtien perçu, même dans les cas où ils bénéficient d’un droit de résidence légale ou de la citoyenneté en République dominicaine, constitue une stratégie d’épuration ethnique qui n’a aucune place dans le monde moderne.
Le gouvernement haïtien est profondément préoccupé par ces politiques migratoires autoritaires et discriminatoires, qui exacerbent également des discours haineux à l’encontre des migrants haïtiens. Des organisations internationales, comme Amnesty International, partagent ces préoccupations. Amnesty a qualifié ces mesures de triplement des taux actuels de déportations, menaçant directement les droits humains des Haïtiens vivant en République dominicaine, et condamne fermement les risques d’expulsion de personnes apatrides ou de ressortissants dominicains d’origine haïtienne.
Monsieur le Président,
Si Haïti reconnaît le droit de tout État à définir et mettre en œuvre ses politiques migratoires, celles-ci doivent être conformes aux conventions internationales, en particulier celles relatives aux droits des migrants. Ces politiques doivent également respecter les accords bilatéraux signés entre nos deux pays, tels que le protocole de 1999 sur les mécanismes de rapatriement, qui visait précisément à garantir le respect des droits et de la dignité des migrants haïtiens. Nous exhortons les autorités dominicaines à respecter ces accords et à reconnaître la contribution inestimable des travailleurs haïtiens à leur économie.
En conséquence, Haïti appelle la Commission interaméricaine des droits de l’homme à accorder une attention particulière à la situation des migrants haïtiens en République dominicaine et à publier un communiqué sur cette question urgente. La migration et les déplacements forcés sont souvent la conséquence de la pauvreté, de la violence, et de l’insécurité. En tant qu’États membres de cette organisation, nous avons tous la responsabilité de protéger les droits humains et les libertés fondamentales de toutes les personnes sur nos territoires, sans distinction de leur statut migratoire.
Je vous remercie.