Parlons de ceux dont la voix est couverte par le tohu-bohu du quotidien infernal que connaît notre peuple.
Ceux qui sont capables de déposer leur petite pierre avec grandeur sur les rives de la vie… Parlons de ceux qui ont eu le courage d’échouer et de souffrir mille fois, mais qui ont quand même eu la force de caractère d’essayer MILLE et UNE fois… Parlons d’un faiseur de joie, qui lui-même connaît vents et marées. Parlons de BEKEN. Lui, qui a passé sa vie et sa carrière à nous peindre les vicissitudes de l’existence humaine dans son œuvre, il est aujourd’hui acculé plus que jamais. De ce fait, cette nouvelle sortie de la rubrique « Lyrics », du Quotidien 509, est tout à son effigie, en signe de solidarité…
Jean Prosper Dauphin, alias Beken, est cet artiste intemporel qui avec sa guitare a su illustrer, le long de 40 ans de carrière et de 4 albums, la douleur et la résilience d’un nombre incalculable d’Haïtiens, dans une société faite de contrastes et d’inégalité sociale. Lui-même unijambiste, est le porte-étendard de ceux qui n’ose parler tout en gardant en leur cœur, le poids du monde.
Oser rêver quand on n’est sûr de rien, revient à se frayer un chemin tout en se sachant perdu. Qui vit encore, nie l’évidence des perceptions défaitistes et inéluctables. Ou du moins, nie toute solution qui implique de déposer les armes, face aux assauts réguliers de la vie. Tout est question d’arriver à maintenir sa barque à flot contre vent et marée et d’accepter que l’existence est un kaléidoscope dont on doit décider des couleurs dominantes. Ce que Beken a fait avec brio. Mais doit-il continuer à se battre seul même en étant épuisé ? Doit-on faire du Messager, la cible de critiques sans apprécier le contenu de son œuvre à sa juste valeur ? En dépit des préférences de chacun, chaque artiste est lui-même, un ambassadeur, accrédité naturellement à parler au nom de ses semblables.
Chers lecteurs et lectrices du Quotidien 509, nous concevons que tout peuple est constitué telle une ruche dans laquelle tous les éléments dépendent les uns des autres. Ainsi, la faiblesse d’un frère est celle de toute la ruche. Si, selon Platon, l’expérience fait que votre vie soit dirigée selon l’art, l’art de vivre, la vie en elle même, n’est pas un long fleuve tranquille, nous dit Grand Corps Malade. Quant à Beken, il nous dit dans Imilyasyon, titre qui paru en 1989 dans un genre folklorique :
“Wi m pran bwa gita mwen pou m chante pou nou
Pou ou menm ki kouche lopital ki nan touman soufrans lapèn
Pou ou menm ti peyizan k ap sekle plante pa janm tonbe
Wi se Ayisyen mwen ye
Vye cheve m tou grenn
Men wi se Ayisyen mwen ye
Mwen renmen peyi mwen tankou tout moun
Depi lontan gran papa mwen toujou ap di m
Fòk m aprann viv nan peyi mwen
Se sa ki fè lè m rete m gade lakay
Sa fè m sonje gran papa mwen
Mwen se Ayisyen mwen nan peyi m
Mwen pap travay sa fè mwen mal
Mwen gen fanmi a dwat a goch
M pa sa manje lamizè ap fin tuye mwen
“
Il n’est pas donné à tous de posséder le don qu’est l’empathie. Être capable de se mettre à la place d’autrui pour non seulement le comprendre et partager sa peine est un don divin. Il faut aussi beaucoup de courage pour affirmer son mal-être en dépit du jugement d’autrui, toujours prêt à jeter la première pierre.
C’est dans cet ordre d’idées que Le Quotidien 509 salue le courage, l’empathie et l’œuvre entière de BEKEN. Tout en alertant les communautés haïtiennes, réceptives et sensibles au bien-être de la ruche que nous sommes, sur les difficultés actuelles de l’artiste. Tout en adressant à sa famille notre solidarité et notre gratitude vis-à-vis de sa contribution à la culture haïtienne…
Se mettre au service du collectif, apporter sa contribution au bien-être de son semblable, est la plus noble des actions.
Marc Arthur Paul