Certains nostalgiques, exaspérés par les scandales actuels, en sont catégoriques, c’était mieux avant.
Leur position est accablante et nette, à défaut d’être convaincante : sans jamais la moindre nuance, ils opposent le temps d’avant – la période post-coloniale et la période macoute – à celui de maintenant, fait d’amateurisme, d’aberrations et de l’obsession de l’argent facile. En plus, les gens d’aujourd’hui sont malhonnêtes et incompétents ; ce sont des profiteurs et sinécuristes, prêts à tout faire pour parasiter la machine.
Le Parlement sous la présidence de Michel Joseph Martelly est passé par là, avec son lot de transactions et de figures caricaturales. Droit dans ses bottes, précautionneux et soucieux d’une certaine image du pays, le président René Préval, pour ne pas tomber dans le piège des parlementaires gloutons, avait conservé lors de son second mandat la quasi-totalité des consuls et ambassadeurs nommés par le gouvernement provisoire Alexandre-Latortue. Evidemment c’est un point de vue discutable.
Tout propos sur la nostalgie doit aussi entraîner un débat sur les exigences et les évolutions du monde contemporain ou moderne. On ne peut pas balayer en une phrase, en effet, le laxisme ambiant en comparaison avec les personnalités brillantes et les échantillons qui étaient à la tête de nos consulats et ambassades par le passé. Nous savons tous, même si nous faisons semblant de l’oublier – je me réfère à nos décideurs -, que nous exhibons des formes de népotisme et de connivence au moment même où nous prétendons effectuer des réformes en toute objectivité. De nos jours, la médiocrité les a envahis ici et là, parce que le sentiment d’impunité guide nos décideurs au plus haut sommet de l’État. Cela rend les choses plus compliquées et la première victime, c’est le pays …
Autrefois, les choses n’étaient pas au fond merveilleuses. Réseaux sociaux aidant, elles ne le sont pas non plus aujourd’hui. Voudrions-nous combattre nos vices et nos mauvaises habitudes qu’ils sont tenaces et ne renoncent pas jusqu’à aujourd’hui à leurs racines culturelles ou clientélistes. La « kokoratisation » – pour reprendre un terme insultant cher à Gary Victor – et la banalisation de la fonction diplomatique n’ont jamais été aussi fortes avec l’emprise des secteurs politiques sur fond d’effondrement étatique.
Loin d’un idéalisme béat, nous devons nous concentrer sur un vigoureux travail en commun de compétences transgénérationnelles qui se chevauchent et cohabitent de manière bien plus féconde que ne le laissent penser des exclusions ou rivalités venant d’esprits ou pouvoirs sectaires. Mais cette forme de synthèse exige de la volonté, de la légitimité politique et du temps, dictée par la foi en une communauté de citoyens patriotes obligés de s’entraider dans un monde hyper-compétitif fondé sur les urgences et les changements en accéléré.
Les risques et les indignations générés par la médiatisation des scandales diplomatiques et politiques peuvent ainsi être contrebalancés par les réformes ou garde-fous qu’ils exigent. Le statu quo diplomatique serait donc en cela la plus dangereuse des situations, nous laissant à la merci des aléas potentiellement générés par l’opinion publique et l’image détestable du pays, sans laisser ensuite aux décideurs la possibilité de concevoir les mesures de les combattre courageusement ou de s’en protéger.
Le pouvoir médiatique est une arme à double tranchant, mais c’est aussi un baromètre incontournable. Sommes-nous la première génération à prendre conscience, à l’échelle globale et par-delà nos clivages, de la nécessité d’agir, sans faux-fuyants ni tape-à-l’œil, dans l’intérêt du pays pour redresser la situation plus que lamentable de la plupart de nos missions à l’étranger ? Il s’agit en vérité de changer radicalement de politique en cessant de se considérer comme les victimes d’une fatalité mais en envisageant au contraire le rôle patriotique des élites présentes, car nous vivons une période charnière d’une telle importance que notre apathie ou nos actions courageuses déterminent l’avenir du pays pour plusieurs années.
Nous voilà donc – je veux parler des actuels dirigeants du CPT-9 et du gouvernement intérimaire d’Alix Didier Fils-Aimé – condamnés à ne plus nous considérer prisonniers d’un système corrompu et inefficace, mais bien plutôt comme une génération qui a la lourde charge de déterminer ce que sera le futur de notre diplomatie dans ses modalités de fonctionnement.
Pierre-Raymond DUMAS