Dans une lettre du 12 décembre 2024 adressée à Me Patrick Pierre-Louis, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince, Me Gervais Charles, ancien Bâtonnier, revient sur les responsabilités cruciales de cette institution face à la situation alarmante qui prévaut dans le pays. Me Charles invoque le souvenir de figures historiques, telles que Raymond Poincarré et Gérard Gourgue, pour souligner le rôle historique et moral du Bâtonnier comme défenseur des droits fondamentaux et de la dignité humaine.
Contexte de la lettre : une nation sous le joug de la violence
Me Charles dépeint une capitale assiégée par les gangs armés, où la population est prisonnière et les voies de sortie bloquées. Il décrit avec gravité les récents massacres, notamment celui du Wharf Jérémie, qualifié de génocide programmé, et alerte sur l’inaction face à des crimes d’une cruauté insoutenable. Il n’hésite pas à comparer la situation en Haïti à celle du génocide rwandais de 1994, pointant du doigt l’inaction des instances internationales.
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La population de Port-au-Prince est prisonnière de gangs lourdement armés. Aucune voie de sortie de Port-au-Prince par terre, mer ou air à l’exception des trajets par hélicoptère vers le Cap-Haïtien où fonctionne encore le seul aéroport international du pays, desservi par une ligne aérienne nationale qui vole uniquement vers Miami. Le trajet par hélicoptère est réservé aux très riches à trois mille six cent dollars américains (U$. 3,600.00) en moyenne par tête pour rejoindre uniquement le Cap-Haïtien.
L’isolement de Port-au-Prince par terre s’est réalisé progressivement, d’abord par la sortie Sud, ensuite la route nationale numéro un qui dessert le nord et la route nationale numéro trois vers le plateau central avec un embranchement à ce niveau pour le Nord.Une prison méthodiquement construite au cours des trois dernières armées.”
Critique des acteurs internationaux
La lettre dénonce une responsabilité historique des Nations Unies dans l’affaiblissement structurel d’Haïti, rappelant notamment l’épidémie de choléra introduite par des soldats de la MINUSTAH en 2010. Me Charles revient également sur les relations ambivalentes entre certains représentants internationaux et les gangs armés, citant des déclarations controversées de l’ambassadeur des États-Unis et les actions passées de la diplomate Hélène La Lime.
“A quoi peut-on s’attendre quand des criminels au cerveau dérangé sont armés par des porteurs d’un sombre projet pour Haïti. Le Secrétaire Général de l’Organisation des Nations-Unies a condamné par son porte parole Monsieur Stéphane Pujarssic ce massacre en exhortant la Justice haïtienne à prendre ses responsabilités.
Une déclaration pathétique alors que l’Organisation qu’il dirige, a participé depuis des années à son affaiblissement au point d’atteindre actuellement un état de décrépitude inédit. Le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme a révélé que les tués dûs à la violence des gangs depuis le début de l’année s’élevaient à plus de cinq mille et le nombre de personnes déplacées à plus de sept cent mille. La mémoire transporte à la tragédie du génocide opéré au Rwanda.
Le génocide au Rwanda se déroule du 7avril au 17 juillet 1994. Plus de trois mois d’horreur où sont massacrés plus de 800,000 personnes sous les regards de contingents français et de la Minuar, force de maintien de la paix dont le nombre est passé de 2,500 hommes à 250. Le Général canadien Roméo Hilaire qui en assurait le commandement a été mis en garde suite à ses appels pour une intervention humanitaire, de ne prendre aucune initiative.
De 1994 à 2017, le pays a connu une vague de missions de maintien de la paix de l’Organisation des Nations-Unies. Ellesdoivent ainsi que l’Organisation des Nations-Unies endosser une part de responsabilité dans l’état lamentable d’Haïti qui a régressé comme une peau de chagrin.
Le 25 octobre 2024, l’Ambassareur Dennis Hankins a admis à l’émission Le Point de Radio Télé Metropole avoir eu des communications avec des chefs de gangs notoires pour assurer la sécurité de l’Ambassade américaine. Ce genre de relations est à interpréter à la lumière des actions de la diplomate Hélène La Lime en faveur des gangs armés.”
Un appel à l’unité et à la souveraineté
Face à cette crise, Me Charles exhorte le Bâtonnier à s’ériger en porte-voix des droits des citoyens. Il plaide pour un projet de reconstruction nationale, basé sur une unité patriotique et une reconnexion à l’histoire et à la culture haïtiennes. Il rappelle les grandes heures de la diplomatie haïtienne et des figures comme le général Alfred Nemours, qui ont défendu les principes de liberté et de souveraineté sur la scène internationale.
L’urgence d’une action collective
La lettre se termine par un appel à dépasser les divisions et à rejeter les ingérences pour permettre à Haïti de se reconstruire de manière pacifique et autonome.
Le pays a vécu sous le coup d’interventions américaines et de missions de maintien de la Paix de l’Organisation des Nation-Unies qui refusent de prendre la moindre responsabilité dans la faillite d’Haïti.
Au fond du gouffre Haïti a choisi de renaitre par un projet pacifique de construction du pays. La méfiance congénitale, fruit d’un passé de fourberie, doit être vaincue pour que les haïtiens se reconnaissent comme frères et héritiers d’une histoire et d’une culture hors du commun.”
Conclusion
Me Charles interpelle non seulement le Bâtonnier, mais aussi la société civile et les acteurs internationaux, leur rappelant leur responsabilité dans la sauvegarde de la dignité humaine et de la souveraineté d’Haïti.