La République Dominicaine a récemment franchi un cap significatif dans sa politique sécuritaire vis-à-vis d’Haïti. Par un décret présidentiel, le chef de l’État dominicain, Luis Abinader, a classé plusieurs groupes armés haïtiens comme des entités terroristes. Cependant, au-delà de la portée immédiate de cette décision, une interrogation majeure se pose : le décret a-t-il été rédigé avec précipitation, et surtout, est-il une stratégie politique pour amplifier la menace perçue ?
Le texte officiel cite nommément des gangs comme 400 Mawozo, Kraze Barye, Baz Gran Grif, et d’autres structures criminelles bien connues. Mais il va plus loin en inscrivant des noms de quartiers ou de localités entières, comme Brooklyn, Mariani, Nan Boston ou encore Fort Dimanche, sans préciser quels groupes criminels y opèrent.
Ce manque de distinction entre les organisations criminelles et les zones géographiques soulève des inquiétudes quant à la rigueur du décret et aux conséquences de son application. Assimiler des quartiers entiers à des groupes terroristes pourrait avoir des répercussions diplomatiques, mais aussi compliquer la situation des résidents haïtiens vivant dans ces zones, qui pourraient être perçus, à tort, comme affiliés aux gangs.
En élargissant la définition des « entités terroristes » aux simples quartiers, Abinader alimente l’image d’un chaos total en Haïti tout en renforçant son propre positionnement politique.
Cette approche est particulièrement frappante lorsqu’on considère le nombre d’armes saisies en République Dominicaine et destinées aux gangs haïtiens. Si ces armes ont pu transiter par le territoire dominicain, cela signifie que des réseaux de trafic existent de part et d’autre de la frontière. Pourtant, le gouvernement dominicain préfère insister sur la menace venant d’Haïti plutôt que de s’interroger sur les complicités internes qui facilitent ces trafics.
En désignant officiellement des groupes criminels haïtiens comme terroristes, la République Dominicaine renforce sa posture sécuritaire et justifie une politique migratoire encore plus restrictive à l’égard des Haïtiens.
Un précédent qui s’inscrit dans une stratégie d’isolement d’Haïti
Il convient de rappeler que, le 8 septembre 2022, le président Abinader avait déjà pris un décret interdisant l’entrée sur le territoire dominicain de l’ancien ministre haïtien des Affaires étrangères Claude Joseph, ainsi que de 12 chefs de gangs notoires, dont :
• Jimmy Chérizier alias “Barbecue” (G9 et Fanmi et Alliés)
• Innocent Vitel’Homme alias “Vitelom” (Gang Vitelom – Torcelle)
• Destina Renel alias “Ti Lapli” (Gang Grand Ravine)
• Wilson Joseph alias “Lanmo San Jou” (400 Mawozo)
• Claudy Celestin alias “Chen Mechan” (Gang Chen Mechan – Carrefour-Tabarre)
• Alexandre Ezechiel alias “Ze” (Baz Pilate)
• Kempes Sanon (Baz Bel-Air)
• Chery Christ-Roi alias “Chris-La”
• Felix Monel alias “Mikano” (Baz Wharf Jérémie)
• Jean Pierre Gabriel alias “Ti Gabriel” (G-Pèp)
• Alexis Serge Renel alias “Ti Junior”
• Orlichen Emile alias “Pe Lebren” (Baz Delmas)
Aujourd’hui, ce nouveau décret assimilant indistinctement gangs et quartiers entiers soulève des interrogations et appelle à une analyse plus approfondie.
Une volonté d’isoler Haïti sur la scène internationale
Cette décision confirme la stratégie d’Abinader visant à isoler davantage Haïti sur la scène internationale, en la présentant non plus comme un pays en crise, mais comme une menace sécuritaire régionale.
Face à cela, l’absence d’une réponse diplomatique forte de la part du gouvernement haïtien est une nouvelle démonstration de son impuissance. Une fois de plus, la République Dominicaine profite du vide laissé par la diplomatie haïtienne pour imposer sa propre vision de la crise.
Ce décret, au lieu de proposer une approche ciblée et efficace contre les gangs, semble être un outil politique destiné à justifier un durcissement des relations avec Haïti, au risque d’alimenter davantage les tensions entre les deux nations.
La rédaction