Après avoir fui le Bicentenaire pour s’installer provisoirement à l’Avenue John Brown (Lalue) en 2020, le Tribunal de Première Instance (TPI) de Port-au-Prince rouvre officiellement ses portes à Delmas 75.
La cérémonie d’inauguration s’est tenue en présence de plusieurs hauts responsables du système judiciaire, dont les conseillers-présidents Emmanuel Vertilaire, Leslie Voltaire et Fritz Alphonse, le coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), ainsi que le président de la Cour de Cassation, Me Jean Joseph Lebrun.
Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Dr Patrick Pélissier, a réaffirmé son engagement à relever les défis du système judiciaire, en insistant notamment sur la lutte contre la détention préventive prolongée, qui passera par la multiplication des assises criminelles. Il a également salué les efforts des forces de l’ordre et de la mission multinationale dans la lutte contre l’insécurité. Pour sa part, Me Jean Joseph Lebrun a mis en avant l’importance de cette relocalisation, estimant qu’elle traduit la volonté des autorités de rapprocher la justice des citoyens.
Un problème juridique majeur : le TPI de Port-au-Prince peut-il siéger à Delmas ?
Cette relocalisation soulève toutefois une question fondamentale d’ordre juridique et administratif. Selon l’organisation judiciaire haïtienne, un Tribunal de Première Instance est juridiquement rattaché à une circonscription précise et doit se situer dans la commune dont il porte le nom.
Le TPI de Port-au-Prince, en tant qu’institution relevant de cette juridiction, peut-il légalement siéger à Delmas ? Une telle décision ne nécessite-t-elle pas une modification légale ou un décret de l’Exécutif modifiant le décret de 1995 portant sur l’organisation judiciaire ?
Références légales – Décret du 22 août 1995 relatif à l’organisation judiciaire
SECTION IV – DES TRIBUNAUX DE PREMIÈRE INSTANCE
Article 92 : Il y a un tribunal de première instance dans chacune des villes suivantes : Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Cayes, Gonaïves, Jacmel, Saint-Marc, Petit-Goâve, Port-de-Paix, Jérémie, Anse-à-Veau, Aquin, Fort-Liberté, Hinche, Mirebalais, Grande-Rivière du Nord. Il y est attaché des greffiers et des huissiers. Près de chacun de ces tribunaux, est établi un parquet. Il pourra être établi d’autres par décision du Pouvoir Exécutif.
Article 93 : Le cadre et les appointements du personnel des tribunaux de première instance et de leurs parquets sont fixés par la Loi.
Bien que l’Article 92 ouvre la possibilité pour l’Exécutif d’établir d’autres tribunaux, il ne précise pas si un tribunal existant peut être relocalisé dans une autre commune sans un acte légal formel.
Quels risques pour la validité des jugements rendus à Delmas 75 ? “
Dans un contexte de crise sécuritaire et institutionnelle, cette relocalisation met en lumière la complexité de la réforme judiciaire en Haïti et la nécessité de clarifier le cadre légal entourant le fonctionnement des tribunaux.
Une question cruciale se pose : les décisions judiciaires et les jugements émanant désormais du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince siégeant à Delmas 75 peuvent-ils être contestés sur la base d’une irrégularité juridique ? Cette situation pourrait-elle ouvrir la voie à des recours en annulation ou à des contestations de compétence territoriale ?
En l’absence d’un cadre juridique clair, le risque est réel que des décisions judiciaires puissent être remises en cause, compromettant ainsi la crédibilité et l’efficacité du système judiciaire haïtien.
La rédaction