Dans un climat d’insécurité extrême, où des gangs lourdement armés contrôlent des zones entières du territoire et s’étendent impunément dans certaines villes de province, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) prétend vouloir reprendre le contrôle. Une résolution relative au renforcement de la sécurité publique publiée dans Le Moniteur No. 23 le jeudi 3 avril 2025 ordonne au gouvernement Alix Didier Fils-Aimé de mobiliser tous les moyens disponibles pour restaurer l’ordre. Parmi les mesures phares y contenues : la réactivation de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI) avec un budget propre, et le recours aux agents de la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP) comme force d’appoint à la Sécurité Nationale d’Haïti .
Tout en exprimant nos réserves sur la publication de cette résolution non assortie d’un arrêté pris en conseil des ministres, nous avons constaté que derrière ce que les autorités appellent déjà un « budget de guerre », de nombreuses questions surgissent : -cohérence de la stratégie sécuritaire ? -absence de contrôle des fonds ? -déficit ou manque total de vision ?
ANI : un organe stratégique ou une façade politique ?
Créée par décret sous Jovenel Moïse en 2020, l’ANI (Agence Nationale d’Intelligence est aujourd’hui réactivée avec un budget de 30 millions de gourdes inscrit au budget rectificatif 2024-2025 selon le Projet de budget que nous avons pu consulter avant publication. Cette brèche est créée dans un contexte d’opacité inquiétante. De plus, mettre un budget pour l’ANI sans structure et sans orientation stratégique c’est non seulement mettre la charrue avant les bœufs mais surtout créer un autre champs de dépenses occultes.
L’Agence Nationale d’Intelligence (ANI) est supposée centraliser les structures dispersées de renseignement à l’échelle nationale. Pourtant, comment comprendre sa relance alors que des fonds dédiés à l’intelligence existent déjà au sein de nombreuses entités, notamment la Présidence, la Primature, la Police Nationale, les FAD’H, ainsi que plusieurs ministères clés tels que ceux de la Justice, de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires Étrangères ?
Dans ce contexte, la réactivation de l’ANI semble davantage annoncer les prémices d’un nouvel imbroglio institutionnel, potentiellement propice au détournement de fonds publics, plutôt qu’à une réelle réforme stratégique de la sécurité nationale.
Comment garantir une coordination efficace, une transparence budgétaire, et une répartition claire des responsabilités entre ces différentes structures ? Et surtout, pourquoi relancer l’ANI à la veille d’échéances électorales cruciales, alors que bon nombre des acteurs impliqués dans sa relance — notamment les membres du CPT — comptent eux-mêmes participer aux scrutins à tous les niveaux ?
L’affectation budgétaire associée à l’ANI rappelle étrangement les manœuvres d’anciens parlementaires qui exigeaient la création de lignes budgétaires spécifiques, dans le but de pouvoir soutirer de l’argent en toute légalité… et dans une totale opacité.
L’ombre de l’argent et des arrangements politiques
Alors que Fritz Alphonse Jean, président du CPT, multiplie les discours sur l’urgence nationale, certains observateurs dénoncent déjà une instrumentalisation financière de l’ANI. Quand on sait que l’argent de l’intelligence du palais est aujourd’hui redistribué entre les neuf membres du Conseil présidentiel, sans cadre légal précis, on doit se demander s’il y a réellement une volonté de rendre l’ANI opérationnelle. L’ANI qui relève directement du Chef d’ETAT donc, en l’occurrence du CPT, risque de n’être qu’une façade institutionnelle, masquant une gestion informelle et non contrôlée des fonds liés au renseignement.
Il est également important de rappeler que le Premier ministre Ariel Henry en 2021 avait, en son temps, tenté d’enterrer l’ANI, une décision prise en Conseil des ministres qui lors avait précipité le départ spectaculaire de Renald Lubérice, alors secrétaire général du Palais national. Ce précédent montre que l’ANI a toujours été un objet de tension politique, plus qu’un véritable outil de stratégie nationale.
D’un autre côté, pour comble de complication, l’incursion de la Brigade Spécialisée des Aires Protégées (BSAP) : d’agent environnemental à soldat contre les gangs ?
Autre mesure controversée : l’implication de la BSAP dans le renforcement des opérations sécuritaires. Cette brigade, initialement dédiée à la protection des aires protégées ordinairement sous la coupole de l’Armée, fonctionne sous la tutelle du ministère de l’Environnement. À ce compte, elle ne devrait jamais avoir pour mission la lutte armée contre le banditisme.
Un foisonnement de forces armées sans stratégie claire
Aujourd’hui, la sécurité nationale repose sur un patchwork d’acteurs : la PNH, les FAD’H, la BSAP, l’ANI, le Task Force présidence/primature utilisant des drones kamikazes. Mais cette multiplication d’entités n’est accompagnée d’aucun plan de coordination clair, d’aucun commandement unifié, et d’aucun partage structuré d’informations. D’ailleurs le feu brule davantage entre la Primature, la PNH et alliés du CPT favorable à Fritz A. Jean et Normil Rameau, DG de la PNH.
Qui dirige quoi ? Qui décide des priorités opérationnelles ? Comment les informations circulent-elles entre ces institutions ? Le silence des autorités sur ces points cruciaux trahit la mise en exergue d’une véritable stratégie sécuritaire.
Au fort de tout cela, l’opinion publique accuse l’État de complicité avec les gangs
Dans la rue, la perception est nette : une majorité croissante de citoyens haïtiens estime aujourd’hui que l’État est complice des gangs armés. Ce sentiment est alimenté et consolidé par l’inaction prolongée face à l’expansion des groupes criminels et l’absence de résultats concrets, malgré des budgets colossaux.
Quelle est l’opportunité de lancer dans ces conditions une structure comme l’ANI malgré les milliards de gourdes déjà dépensés dans des ministères censés agir contre l’insécurité ?
Conclusion : un budget sans orientation réelle
L’État haïtien semble financer un arsenal institutionnel contre l’insécurité… sans boussole ni orientation stratégique. L’empilement des forces, l’opacité des fonds, l’absence de coordination, et la gestion personnalisée des ressources d’intelligence par les membres du CPT créent un environnement propice au détournement des fonds alloués pour la sécurité, pas à la protection des citoyens.
Réactiver l’ANI aurait pu être une avancée vers une meilleure gouvernance de la sécurité. Mais sans consolidation des fonds, sans transparence, sans réforme structurelle et sans confiance du public, cette relance apparaît davantage comme une manœuvre politicienne pour camoufler les détournements de fonds dans un échiquier déjà fracturé.
La conclusion à tirer au delà de tout cela est que l’ANI ne sera jamais mise en place ni structurée, car formaliser l’ANI mettrait fin à ce désordre et à la multiplication des fonds d’intelligence inopérants et inefficaces dans l’état actuel des choses et l’hypertrophie des ambitions personnelles.
Il faut également se douter que l’idée de l’intégration de BSAP et la mise en place de l’ANI n’aboutisse pas à la mise en place d’une milice incontrôlable.
Il n’est que d’attendre.
La Rédaction