Le dernier rapport du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) du 7 avril 2025 ne dissimule plus la frustration de la communauté internationale face à l’effondrement de l’État haïtien sur le plan sécuritaire. Derrière une rhétorique diplomatique soigneusement calibrée, se profile un jugement sévère, se lit une frustration palpable, est esquissé un leadership défaillant au sein de la PNH dirigée par Normil Rameau qui est à son deuxième coup d’essai, dont le manque de stratégie et d’anticipation est vivement critiqué.
Malgré les engagements récurrents de l’Etat, le rapport dépeint une structure sécuritaire minée par l’improvisation, la lenteur et la désorganisation. Il souligne notamment :
• une réaction tardive malgré des alertes préalables sérieuses (comme à Kenscoff),
• l’absence flagrante de planification opérationnelle pour contrer les avancées des gangs,
• une pénurie persistante de ressources humaines, matérielles et logistiques,
• et surtout, une incapacité structurelle à articuler une vision stratégique à long terme.
Si certains observateurs veulent transférer l’échec de la Sécurité au CSPN, le rapport conjoint du BINUH et du HCDH replace les responsabilités en matière de Sécurité au Commandement de la PNH tout en insistant sur une vision d’Etat.
Kenscoff : symptôme d’un commandement à la dérive
L’attaque du 27 janvier 2025 contre Kenscoff demeure emblématique. Malgré des renseignements clairs, les rumeurs depuis le 24 janvier, la réponse policière n’a eu lieu que cinq heures après le début de l’assaut dénonce l’entité onusienne. Ce délai tragique a laissé la population sans défense. Au moins 262 personnes ont été tuées (115 membres de la population et 147 membres de gangs) et 66 autres ont été blessées (59 membres de la population et sept membres de gangs)1 . Huit éléments des forces de sécurité ont également été tués (4) et blessés (4).
Normil Rameau, à la tête de la PNH, n’a toujours pas proposé de plan stratégique clair. Aucun audit, aucune mesure disciplinaire n’a été prise malgré cette déroute, ce qui renforce le sentiment d’impunité au sommet de la sécurité nationale, dénonce le rapport.
« Le 24 janvier, des informations partagées par des journalistes et d’autres sources locales ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, avertissant d’une attaque imminente des gangs sur la commune de Kenscoff. Ces informations précisaient qu’entre 75 et 100 individus armés étaient déjà arrivés à Kenscoff et se cachaient sur la colline en face de Belot. …….. Dans une conversation téléphonique divulguée par une source locale, un responsable de la police de Kenscoff aurait assuré à ses supérieurs que des patrouilles de police avaient été menées dans les secteurs de Godet, Furcy et Robert après les alertes du 24 janvier, et que ces zones étaient sécurisées. » (le rapport)
Une gouvernance morcelée : l’État désarmé face aux gangs
Le BINUH évoque, sans les nommer ouvertement, les divisions internes entre les principales figures de l’exécutif. Ce climat d’indécision renforce l’impression d’un leadership sécuritaire éclaté, sans coordination, incapable d’anticiper ou de riposter efficacement. Le Directeur général de la PNH, censé incarner la colonne vertébrale de la réponse sécuritaire, peine à asseoir son autorité, alors que les gangs étendent leur emprise.
« La séquence des événements à Kenscoff semble indiquer que les forces de sécurité n’ont pas pris initialement les mesures adéquates pour prévenir les premières attaques, ni pour assurer le déploiement rapide des unités spécialisées de la police, malgré les informations reçues faisant état d’une menace imminente posée par les gangs. » (le rapport)
La MMAS face à un partenaire institutionnel fragilisé
Le rapport du BINUH insiste : sans réforme en profondeur et sans leadership unifié, la coopération internationale – y compris le soutien de la MMAS – risque d’être compromise. La communauté internationale attend autre chose que des discours : elle exige un engagement clair, une stratégie cohérente, et une volonté politique manifeste de reprendre le contrôle du territoire.
Diplomatie ou désaveu ?
Ce rapport n’est pas un simple état des lieux. C’est un désaveu voilé mais retentissant. Le message est limpide : la PNH, sous la direction actuelle, a perdu la confiance des partenaires internationaux. L’absence de vision stratégique de Normil Rameau et la cacophonie au sommet de l’État nourrissent la méfiance et hypothèquent tout espoir de stabilité.
« Lors d’une conférence de presse, à la Direction générale de la Police nationale d’Haïti (DGPNH), le 30 janvier, le Premier ministre, Alix Didier Fils-Aimé, a déclaré que le Conseil supérieur de la Police nationale (CSPN) était au courant depuis plusieurs jours d’une possible attaque des gangs à Kenscoff. …. Lors d’un entretien radiophonique le 31 janvier, le nouveau secrétaire d’État à la Sécurité publique a appuyé la déclaration du Premier ministre et a confirmé que la police avait reçu des renseignements faisant état de l’attaque….. Bien qu’il ait reconnu des échecs opérationnels au sein de la police, notamment en ce qui concerne sa coordination, sa planification opérationnelle et l’approche générale de lutte contre l’insécurité, il a écarté la possibilité de prendre des mesures administratives ou disciplinaires contre le Directeur général de la Police nationale d’Haïti. » (le rapport).
Impunité, le Parquet est aussi critiqué
« Au 30 mars, un seul individu, présumé membre du gang de Grand Ravine, a été arrêté par la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) au mois de février. Il est suspecté d’avoir facilité l’infiltration des gangs dans la commune. Aucune action n’avait été entreprise par le parquet de Port-au-Prince pour enquêter sur ces attaques et identifier leurs auteurs. « (le rapport).
Recommandations du BINUH et du HCDH aux autorités haïtiennes
Le Conseil présidentiel de transition et le gouvernement sont appelés à instaurer des pôles judiciaires spécialisés pour lutter contre les crimes de masse et les violences sexuelles, tout en garantissant justice et réparations aux victimes. Un appui international est jugé nécessaire pour améliorer les services de santé mentale et de soutien psychosocial.
Les autorités judiciaires doivent enquêter et poursuivre les auteurs des attaques de Kenscoff, notamment pour violations graves des droits humains. La Police Nationale d’Haïti est sommée de reprendre le contrôle des zones gangrenées par les gangs à travers un plan stratégique, fondé sur un meilleur renseignement.
Conclusion
En dernière lecture, le rapport du BINUH doit être compris non seulement comme une évaluation de la situation sécuritaire, mais aussi comme un miroir diplomatique reflétant un échec collectif de gouvernance. Il appartient désormais aux autorités haïtiennes de réorienter le cap, de reconstruire la chaîne de commandement, et de rétablir la confiance tant auprès de la population que des partenaires internationaux, sinon le risque sera grand que la spirale actuelle se transforme en effondrement total de l’autorité de l’État, avec des conséquences incalculables pour l’avenir du pays.
La rédaction