La crise entre la République Dominicaine et Haïti dans le dossier du Canal a une répercussion directe sur les nombreuses familles haïtiennes qui vivent chez le voisin. Cette situation n’est pas une simple crise liée au commerce ou à un couloir humanitaire demandé par Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations Unies. Elle est bien plus profonde qu’elle n’en a l’air.
Des familles, des travailleurs, des étudiants, des professionnels, des commerçants, tous indistinctement sont aujourd’hui en proie à de grandes inquiétudes face au dénouement de cette crise engendrée par la construction du Canal de la rivière Massacre.
Des mesures unilatérales et belliqueuses que le gouvernement dominicain semblent avoir des difficultés à s’en défaire ou à réajuster. Une construction qui échappe même au gouvernement haïtien. Kanal la pap kanpe, clame la population haïtienne.
Aucune note de l’ambassade d’Haïti en République Dominicaine, même pour inviter les Haïtiens à s’enregistrer voire les recenser. Aucun couloir de communication réelle entre les Haïtiens en République Dominicaine et les officiels du gouvernement haïtien. On se demande dans cette situation à quoi sert l’ambassade d’Haïti en République Dominicaine, ou les Consulats qu’ils soient à Santo Domingo ou à Santiago ?
Dans un conflit face à la population haïtienne dans lequel Luís Abinader ne veut pas perdre la face comme candidat aux élections présidentielles de 2024 ;
Dans une crise salutaire pour Ariel Henry qui souhaite jouer finalement le rôle de l’homme du peuple, le patriote, et le défenseur du Canal ;
Dans une situation dont Ariel Henry n’a, en réalité, pas le contrôle, mais dont il tire avantage dans des notes de presse ;
Dans une crise où le dénouement par la voie diplomatique et le dialogue se base sur des ultimatums ;
On se demande tout simplement ce qui attend les Haïtiens en République Dominicaine :
1. Les frontières étant fermées à la migration, des Haïtiens se trouvent dans l’impossibilité de retourner dans leur pays par les voies où ils étaient arrivés en République Dominicaine.
a) Les voitures ne peuvent franchir la frontière ;
b) Pas de vols à destination d’Haïti ;
c) au même instant les agents de la migration restent très actifs dans les rues ;
d) les déportations se poursuivent.
2. Lors même qu’ils souhaitent laisser avec leur véhicule, la prudence est de rigueur car personne ne sait ce qui peut arriver en chemin de l’autre côté de la frontière, en Haïti donc :
a) Malpasse avec le gang des “400 mawozo”;
b) Belladère, avec les gangs de Canaan et des “400 mawozo” qui opèrent à Mirebalais et morne à Cabri;
c) Ouanaminthe avec les gangs de Savien (Artibonite) et Canaan.
Le retour à Port-au-Prince n’est pas aussi évident qu’on pourrait le penser.
3. Le service d’immigration et la douane frontalière étant inopérants, il est donc impossible de remplir les formalités d’accès et de retour de véhicules dotés d’une plaque d’immatriculation haïtienne. Dans le meilleur des cas, la majorité des véhicules arborant une plaque haïtienne ne pourront circuler légalement dans les rues de la République dominicaine d’ici décembre 2023.
4. Les permis provisoires de séjourner dans le pays ne sont pas renouvelés. Plusieurs professionnels haïtiens vivant avec un statut de résidence sont aussi inquiets car le bureau de migration ne renouvelle plus les résidences échues pour les haïtiens et par conséquent ceux qui faisaient marcher une entreprise se verront automatiquement refuser le renouvellement de leur patente de fonctionnement. Plusieurs professionnels haïtiens sont déjà en train de liquider leur commerce à cause de cette situation.
5. Dans certains cas, des Haïtiens titulaires de comptes en banque risquent de n’être plus être servis par leur banque pour cause de validité de leur visa ou leur carte de résidence (témoignage).
6. Des Haïtiens travaillant dans des entreprises avec un visa ou une carte de résidence se font renvoyer même contre le gré de leur patron (témoignage).
6. Des médecins, centres hospitaliers timorés par le recours aux sanctions du gouvernement de Luís Abinader vont jusqu’à refuser le service à leurs patients de plusieurs années (témoignage).
7. La tension pour les étudiants est encore plus vive. L’avenir est encore plus incertain pour ces jeunes que le système dominicain acceptera difficilement sur le marché du travail même avec un diplôme délivré par les Universités les plus cotées du pays. Sans compter les stratégies quotidiennes pour échapper aux agents de migration et éviter les déportations.
8. Ceux qui ont fait des investissements immobiliers en République Dominicain sont aussi inquiets. Entre Haïti et la République Dominicaine, entre le déficit de leadership de Ariel Henry et l’intransigeance de Luís Abinader, les Haïtiens en République Dominicaine seront les premiers perdants en dehors des relations commerciales entre les deux pays.
9. Les familles qui s’y sont établies restent aussi inquiètes quant à leurs enfants malgré tout ce que la République Dominicaine pourrait offrir de positif pour leur réussite. L’année scolaire est le plus souvent payée en partie ou en totalité.
10. Les économies des classes moyennes haïtiennes vont rester au frais dans les banques dominicaines. Retourner en Haïti est aujourd’hui repartir à zéro pour beaucoup de familles ; aller vivre aux États-Unis, au Canada ou en Europe n’est pas toujours la meilleure des options pour ceux qui ont déjà un pied à terre et un mode de vie adéquat pour leur statut social.
Aujourd’hui, les haïtiens en République Dominicaine s’inquiètent qu’un jour Luís Abinader alias Abibi (surnom donné à Abinader par les haïtiens depuis la fermeture de la frontière) décide un matin comme celui du 13 septembre dernier (lorsqu’il annonçait la fermeture des frontière dans 48 heures, soit le 15 septembre) de saisir tous les actifs des haïtiens en République Dominicaine ?
Et Si …. Et Si ? Autant d’incertitudes qui enlèvent le sommeil aux Haïtiens vivant en République Dominicaine.
On se demande quelle sera la Posture de Ariel Henry ce jour-là ?
Quelle note de presse sortira la ministre de la culture et de la communication Emmelie Prophète qui est aussi titulaire ad intérim du portefeuille de la justice et de la sécurité publique?
Quelle résolution voteront les Nations Unies?
Que diront les experts des droits de l’homme des Nations Unies? D’autant qu’aujourd’hui la République dominicaine siège au Conseil des droits humains de l’ONU.
Les organisations haïtiennes des droits de l’homme sortiront-elles de leur confortable et coupable silence ?
Les États-Unis, le Canada et la France condamneront-ils l’acte tout en renforçant, en guise de récompense, leur propres relations commerciales et diplomatiques avec la République Dominicaine ?
La construction du canal de la rivière massacre met à nu l’orgueil et l’intransigeance de Luís Abinader certes, mais aussi elle démontre l’incapacité criante du gouvernement haïtien à permettre à chaque haïtien de se faire respecter quels que soient le lieu où il évolue et le pays dans lequel il a décidé de vivre.
Plusieurs membres de « Friends of Haïti/amis d’Haïti » en République Dominicaine constitués pour la plupart de professionnels et membres de la diaspora haïtienne venant aussi des Etats-Unis, du Canada et de l’Europe viennent de lancer un cri d’alarme contre cette situation stressante qui fait aujourd’hui partie du quotidien de chaque haïtien en dehors du pays.
La Rédaction