Réveillez-vous, Monsieur l’Ansyen chèf ! On est le 3 janvier, et non, tu ne recevras aucun message. Pas d’appel, pas de texto pour te souhaiter les vœux, pour te flatter…. Cette attente silencieuse, presque douloureuse, révèle une réalité brutale : tu étais leur ami tant que tu étais le « chèf », mais aujourd’hui, tu n’es plus rien pour eux.
Le décor est planté. Tes camarades, amis, proches, ces entrepreneurs politiques avec qui tu partageais autrefois le faste du nouvel an dans des villas somptueuses, des resorts de luxe en Floride ou en République Dominicaine, ne t’écriront pas. Pourquoi? Parce qu’ils ont déjà tourné la page, trouvé de nouveaux «chefs », PM, Ministre, directeurs généraux , secrétaires généraux…
La vérité éclate au grand jour : l’amitié, dans cette société où les relations humaines sont souvent instrumentalisées, était conditionnelle.
Cette situation met en lumière une faille profonde dans nos rapports sociaux et notre culture politique. Une faille que l’on pourrait résumer en une phrase célèbre : « Ansyen boss pa boss », comme l’avait si bien dit le tristement célèbre DJ devenu l’un des porte-parole de cette société brisée. Que signifie-t-elle vraiment? Que dans une société où le pouvoir est éphémère et les alliances opportunistes, il n’y a pas de leader durable. Tout chef est condamné à être remplacé, oublié, puis balayé par le vent de l’ingratitude et de la course à la faveur du prochain « boss ».
Mais cette réalité n’est pas une fatalité. C’est le reflet d’une société qui n’a pas su jeter les bases d’une éducation favorisant la valorisation réelle de nos bonnes coutumes et mœurs. La tradition des vœux, loin d’être un simple rituel, est une opportunité pour renforcer les liens communautaires et exprimer une gratitude sincère. Mais dans une culture où l’on préfère répéter des expressions vidées de leur sens comme « Frèm, chef mwen, boss pam », les relations humaines perdent de leur authenticité. Tout ce qui compte, c’est d’assurer la survie immédiate, même si cela signifie sacrifier l’essentiel : l’éducation, le respect et les valeurs.
À cela s’ajoute une autre réalité, qui frappe déjà les dirigeants actuels. Ces derniers, illusionnés par leur pouvoir temporaire, sont à leur tour piégés par le même phénomène. Sur les réseaux sociaux, circulent déjà des reproches venant de leurs anciens amis ou connaissances, ceux qui les ont connus avant qu’ils n’occupent leurs postes actuels. Ces derniers leur rappellent leur origine, soulignant un sentiment d’abandon. Ainsi, les « chèfs » actuels, à peine montés sur le trône, se retrouvent à être critiqués pour avoir également oublié ceux qui les entouraient autrefois. Les nouveaux alliés remplacent rapidement les anciens, confirmant que cette désillusion opère dans les deux sens : les anciens « chèfs » délaissés et les nouveaux, déjà isolés par les rouages d’un système où l’opportunisme prévaut.
Qu’est-ce qui peut changer cette dynamique? Tout commence par un retour aux sources. Nous devons enseigner à nos enfants que l’amitié n’est pas un outil de promotion sociale. Que les vœux de nouvel an ne sont pas un acte administratif, mais un geste de respect profond envers nos pairs. Que la tradition a une valeur, mais qu’elle ne vaut que si elle est sincèrement respectée.
Aujourd’hui, alors que tu attends encore cet appel qui ne viendra probablement jamais, réfléchis à la portée de cette évolution sociétale. N’y a-t-il pas une leçon à en tirer? Le défi est de reconstruire, brique par brique, une société où l’amitié, la reconnaissance et la tradition ont un sens profond. Une société où « ansyen chèf » ou non, chacun se sent valorisé et respecté pour ce qu’il est, et non pour le poste qu’il occupe.
Alors, Bonne Année tout de même “Ansyen chèf ! Puisse cette année être celle d’une prise de conscience collective et d’un véritable renouveau moral et social.
DANIEL JOCELYN
Nous publions cet article dans la catégorie “Courrier du Lecteur” conformément à notre ligne Éditoriale. Le texte n’engage que son auteur et un droit de réponse est accordé par toute personne ou institution citée dans l’article. Nos colonnes restent ouvertes.