Extrait d’un article de Geopolitical Monitor avec mis à jour de données recueillies sur d’autres sites.
Les “gangs” caractéristiques d’Haïti
L’utilisation du mot “gang” ne permet pas de saisir pleinement l’ampleur et l’intensité des groupes armés qui luttent pour le pouvoir. Ces groupes répondent également à un besoin économique, car ils fournissent des services violents qui permettent aux élites dirigeantes d’exercer un contrôle sur des zones stratégiques.
Fonctionnant davantage comme une mafia, ces groupes de mercenaires sont régulièrement appelés à fournir un soutien électoral, à réprimer l’opposition et à conclure des accords commerciaux. Pour ce faire, ils ont recours à des moyens tels que la corruption, le vandalisme, les massacres, les assassinats et les enlèvements. Principalement motivées par le profit, les structures d’inégalité existantes encouragent la violence rémunérée. Le plus souvent, les enlèvements et les rançons servent à financer leurs activités.
Contrairement aux “gangs ordinaires”, ces groupes armés ne se limitent plus à des quartiers ou à des territoires déterminés. Les chevauchements et la concurrence croissants ont forcé de nombreux groupes de Port-au-Prince à s’aligner sur le G9 an Fanmi e Alye ou le GPEP. Le premier – souvent connu simplement sous le nom de G9 – a récemment attiré l’attention grâce à ses cascades publiques qui ont attiré l’attention internationale, ainsi qu’à son affiliation à l’ancien président Moïse. Le fondateur de G9, Jimmy “Barbecue” Cherizier, sanctionné par les Nations Unies, a été accusé d’avoir travaillé avec l’administration Moïse pour planifier et exécuter l’horrible massacre de La Saline lorsqu’il était officier de police en 2018. InSight Crime a estimé qu’avant l’assassinat de Moïse, le G9 recevait environ la moitié de son financement du gouvernement.
Bien que la collusion soit motivée par des besoins économiques et de survie, la présence de groupes paramilitaires dans le tissu de la vie haïtienne a une histoire qui remonte à l’enfance de la nation.
Une histoire militaire mouvementée
Haïti a connu une histoire compliquée avec les entités chargées de la sécurité, qu’il s’agisse de l’armée ou de la police; ce, depuis l’indépendance, en passant par l’occupation d’Haïti par les États-Unis en 1915.
Cependant, la pratique paramilitaire a commencé sérieusement sous François “Papa Doc” Duvalier, qui a de nouveau “rebaptisé” l’armée en 1958. Le nouveau modèle réunissait toutes les branches de l’armée et de la police sous le nom de Forces armées d’Haïti (Fad’H). Duvalier, qui s’est déclaré président à vie, a créé le Tonton Macoute l’année suivante, en 1959. Cette unité d’opérations spéciales, également connue sous le nom de Volontaires de la sécurité nationale, était un groupe de loyalistes de Duvalier qui agissaient en dehors de la loi pour réprimer toute opposition. La dynastie Duvalier s’est éteinte en 1986, mais son héritage est resté : Fad’H et d’anciens membres des Tontons Macoutes ont tenté d’empêcher la participation des électeurs aux élections de 1987. Incapables d’empêcher le “prêtre des bidonvilles” Jean-Bertrand Aristide de devenir le premier président démocratiquement élu, les Duvaliéristes armés ont tenté un coup d’État pour empêcher Aristide de prendre ses fonctions.
Une intervention menée par les États-Unis a rétabli Aristide dans ses fonctions de président en 1994.
Craignant un nouveau coup d’État, Aristide a dissous l’armée. À sa place, la police nationale haïtienne a été créée pour agir en tant que “seule force de sécurité de l’État mandatée pour lutter contre la violence criminelle”.
Pour tenter de contrer les poches profondes des élites et leur influence au sein des forces armées, Aristide a créé les “chimères” pour faire contrepoids. Ce groupe était composé essentiellement d’hommes jeunes et pauvres, armés et chargés d’aider Aristide à consolider son pouvoir politique. Malgré tout, les craintes d’Aristide se sont finalement concrétisées en 2004, lorsqu’il a été renversé par un coup d’État.
Michel Martelly, soutenu par les États-Unis, a succédé au président René Préval et est devenu président en 2011.
Selon un rapport des Experts de l’ONU et d’après les sources de ces derniers, M. Martelly a créé la Base 257, qui a été financée et armée au fil du temps pour empêcher les manifestations contre le pouvoir à Pétion- Ville. Ce gang est régulièrement mêlé à des meurtres, des enlèvements, des vols et au trafic de drogue. M. Martelly est également passé par des intermédiaires, notamment des fondations ou des membres de sa garde rapprochée, pour établir des relations et négocier avec d’autres gangs.
Martelly est réputé être le créateur du Parti politique PHTK. Les détracteurs du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) affirment que ce parti détient le monopole de la violence politique et déguise la kleptocratie en mobilisation communautaire.
La succession de Moïse en 2016 n’a fait que valider ces affirmations, car pendant sa présidence, l’opposition a été repoussée le plus souvent par le G9.
Perspectives d’avenir
L’assassinat du président Moïse et l’arrivée au pouvoir du premier ministre par intérim Ariel Henry ont aggravé le chaos et le mécontentement. Depuis son entrée en fonction en juillet 2021, Ariel n’a pas réussi à organiser des élections, à améliorer l’économie ou à mettre fin à la violence. Selon la Banque mondiale, l’économie haïtienne s’est contractée pendant trois années consécutives et on estime que 65 % des ménages ont subi une détérioration de leurs revenus. L’inégalité des revenus a continué à attiser les flammes et à alimenter la colère. Un rapport de Global Initiative datant de 2022 a révélé que les 20 % les plus riches d’Haïti détiennent plus de 60 % des richesses du pays, tandis que les 20 % les plus pauvres n’en détiennent qu’environ 1 %. Cet écart de richesse a été exacerbé par un taux d’inflation de près de 27 % sur les prix moyens à la consommation.
Bien qu’elle dispose de plusieurs unités spécialisées, la police nationale haïtienne est sous-équipée, sous-payée et en sous-effectif. D’après Pierre Espérance, la force a entamé l’année 2023 avec environ 10 000 agents.
Compte tenu de l’histoire tumultueuse et entremêlée des groupes paramilitaires dans la politique, la portée des stratégies traditionnelles de lutte contre les gangs sera probablement limitée.
Backgrounder: Gang Violence in Haiti | Geopolitical Monitor
Source : ONU, global initiative – rapport 2022, geopolitical monitor